Pauvreté, logement et énergie – Un nouveau regard sur la pauvreté et les inégalités

Cette note a pour objectifs d’actualiser, d’approfondir et de synthétiser diverses réflexions de l’IDD sur la pauvreté, le logement et l’énergie et d’articuler ces trois dimensions, au cÅ“ur des débats socio-politiques de l’heure.

Pour commencer, l’IDD a établi deux budgets de référence : pour une personne isolée et pour une maman seule avec 2 jeunes enfants ; ces configurations de ménages ont été sélectionnées parce que beaucoup de ménages pauvres sont dans une de ces deux situations.

LES BUDGETS DE RÉFÉRENCE

« Les budgets de référence apportent une réponse à la question de savoir de quel revenu minimum une famille donnée a besoin pour pouvoir participer pleinement à la société ». Par définition, et c’est là un des avantages majeurs de cette approche, ces budgets dépendent d’une situation à l’autre (en bonne santé ou pas, logement social ou pas, tarif social pour l’énergie ou pas…).

Commençons par des situations « simples : les ménages sont locataires dans le secteur privé, ils sont en bonne santé, ils ne travaillent pas et ils n’ont pas besoin d’une voiture pour se déplacer ; voici quelques budgets de référence calculés par l’IDD pour juin 2022 (montants arrondis à la dizaine) pour diverses configurations de logement et d’énergie.

Deux constats essentiels :

  • entre le budget de référence le plus petit (variante : tarif social pour l’énergie et loyer social) et le plus élevé (variante : prix de l’énergie du marché – situation qui pouvait être rencontrée avant février 2021 – et loyer privé), la différence est, en 2022, de 550 €/mois pour une personne seule et de 710 €/mois pour le ménage monoparental ; or ces deux situations extrêmes sont considérées de la même manière dans l’approche européenne du taux de pauvreté (seuil de pauvreté = 60% du revenu médian) !
  • l’accès au tarif social pour l’énergie permet à une personne seule avec un loyer privé d’économiser 120 €/mois ; l’économie est de 180 €/mois pour une maman solo avec 2 enfants.

BUDGET DE RÉFÉRENCE, SEUIL DE PAUVRETÉ ET REVENU D’INTÉGRATION

Le tableau suivant permet de constater que :

  • le budget de référence est supérieur au seuil de pauvreté pour les ménages qui sont locataires dans le secteur privé mais inférieur au seuil de pauvreté pour les ménages bénéficiant d’un loyer social
  • le budget de référence est très nettement supérieur au revenu d’intégration pour les ménages qui sont locataires dans le secteur privé mais proche du revenu d’intégration pour les ménages bénéficiant d’un loyer social.

ENSEIGNEMENTS

Rappelons d’abord que les montants cités ci-dessus dépendent étroitement des hypothèses retenues . Or, on sait, par exemple, que les loyers sont à Bruxelles supérieurs à ce qu’ils sont à Namur, que les quantités d’énergie consommées varient en fonction de nombreux paramètres, etc. D’autre part, n’ont été étudiés ici que les budgets de référence d’un adulte vivant seul ou d’une maman solo avec 2 jeunes enfants.

On peut néanmoins penser que, d’une manière générale, les budgets de référence pour les ménages locataires dans le secteur privé sont supérieurs au seuil de pauvreté relatif, surtout s’ils ont à faire face à des dépenses liées à l’exercice d’un emploi et/ou se chauffent au mazout et/ou ont de graves problèmes de santé et/ou ont un ou plusieurs enfant(s) dans l’enseignement supérieur ; dans tous les cas, les budgets de référence sont aussi supérieurs au revenu d’intégration.

Si on considère maintenant les personnes vivant seules et les mamans solo qui bénéficient d’un logement social et se chauffent au gaz, le budget de référence est proche du montant du revenu d’intégration (additionné des allocations familiales pour la maman seule) si l’adulte ne travaille pas et n’utilise pas de voiture.

Bien sûr, dès que d’autres dépenses incontournables s’ajoutent (par exemple la nécessité d’un véhicule à moteur pour un ménage habitant une zone mal ou pas desservie par les transports en commun), le budget de référence s’en trouve augmenté d’autant.

Inversement, la mise en place de mesures visant à réduire le coût de l’énergie ont permis, en 2022, de réduire le budget de référence d’autant.

Tout ceci confirme que choisir, pour mesurer la pauvreté, un indicateur de redistribution des revenus revient à

  • ignorer les vécus différents (logement social ou pas, chauffage au gaz ou au mazout…) ;
  • confondre revenu et niveau de vie ; un même revenu ne procure pas un même niveau de vie ;
  • faire croire qu’on peut répondre de manière identique à des situations différentes ;
  • préférer la facilité à la complexité.

C’est ce que démontrent à l’envi les données et analyses de cette Brève. C’est d’autant plus le cas que l’accès ou pas au tarif social pour l’électricité et le gaz fait une différence qui se chiffre – dans beaucoup de situations – à plus de 1.000 €/an, voire plus de 2.000 €/an, et que l’accès à un logement social procure un avantage relatif croissant.

C’est vrai, définir un budget de référence est sociétalement et politiquement plus compliqué (c’est quoi un besoin ?, c’est quoi une vie conforme à la dignité humaine ?, c’est quoi participer pleinement à la société…) ; c’est même très touchy, parce que cette approche interroge plus profondément encore les inégalités (comment justifier, par exemple, que des enfants n’aient pas les outils numériques dont ils ont besoin ou qu’un ménage bénéficiaire d’un logement social et du revenu d’intégration ait un niveau de vie nettement supérieur à un autre bénéficiaire du revenu d’intégration mais qui doit louer son logement aux prix du marché ?) que les inégalités de revenus. Mais adopter une telle approche permet de mieux comprendre les inégalités des situations et de construire une politique de revenus plus efficace, parce que tenant compte de différences objectives.

A minima, on imagine mal – sur base des constats de cette étude – qu’on puisse revenir sur l’extension du tarif social à tous les revenus précaires et qu’on ne développe pas des aides au logement pour combler la différence de pouvoir d’achat découlant de l’écart entre les loyers privés et les loyers sociaux.

D’AUTRES APPORTS

Chemin faisant, cette Brève de l’IDD apporte diverses informations originales, en particulier l’évolution depuis 2010 de l’augmentation du pouvoir d’achat apportée par l’accès au tarif social et à un logement social. Cette évolution est illustrée pour la situation d’une maman solo avec 2 jeunes enfants à Namur (mais on peut penser que les loyers sont à Namur proches d’une moyenne nationale).

Plus dans la note ici.

Philippe Defeyt

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