Un indicateur de précarité socioéconomique pour la Wallonie – des évolutions inquiétantes

L’ Institut pour un Développement Durable rend aujourd’hui public un indicateur de l’évolution de la précarité en Wallonie.

Cet indicateur, qui couvre la période 1999-2015, est un indicateur composite ; il est en effet basé sur plusieurs indicateurs partiels :

2 indicateurs de précarité sociodémographique

  • proportion de personnes vivant seules
  • proportion de parents seuls

et 4 indicateurs socioéconomiques

  • proportion de demandeurs d’emploi inoccupés (DEI)
  • proportion de bénéficiaires du revenu d’intégration (RIS)
  • proportion d’invalides (au sens de la législation de l’INAMI)
  • proportion de travailleurs en contrat à durée déterminée (contrats à durée déterminée).

Voyons d’abord le résultat global. Tel que mesuré par l’ Institut pour un Développement Durable, l’indicateur de précarité est passé de 100 en 1999 à 120 en 2015. Comme on peut le voir sur le graphique ci-après, l’indicateur de précarité a évolué en trois phases : montée assez soutenue entre 1999 et 2006 (+16%), une modeste contraction entre 2006 et 2008 et, depuis 2008, une augmentation de 6,6% (avec une très léger recul en 2011)

NB : Si les graphiques n’apparaissent pas vous les trouverez dans le fichier joint.

Des résultats plus détaillés sont présentés dans les graphiques suivants. Quatre observations :

  • l’indicateur de précarité des jeunes reste tendanciellement stable ; les fluctuations à la hausse ou à la baisse traduisent probablement les fluctuations des données issues d’enquêtes ; rappelons cependant que le niveau de précarité est très élevé dans cette catégorie d’âge ;
  • l’indicateur de précarité augmente très fortement chez les 50-64 ans ;
  • l’indicateur de précarité augmente plus vite chez les hommes (+23%) que chez les femmes (+18%)
  • l’indicateur de précarité sociodémographique a augmenté plus vite que l’indicateur de précarité socio-économique.


Pourquoi un tel indicateur ? Parce que l’indicateur européen de risque de pauvreté – l’étalon le plus utilisé aujourd’hui – est de moins en moins pertinent. Ses résultats semblent ne plus correspondre au vécu sur le terrain et à d’autres observations. La quasi-stabilité du taux de risque de pauvreté depuis plus de 10 ans apparaît ainsi en décalage par rapport aux données de fréquentation de nombreux services sociaux et aux contenus des témoignages et études qui indiquent qu’il y a de plus en plus de personnes en difficultés et que pour beaucoup les difficultés s’intensifient.

L’intuition à la base de cet exercice exploratoire est qu’il faut utiliser plutôt des indicateurs de précarité pour mieux coller aux évolutions objectives et/ou ressenties en matière de difficultés socio-économiques.

La précarité est un concept à multiples facettes et entrées. On peut néanmoins mettre en évidence plusieurs dimensions de ce concept :

  • la précarité est, en partie, subjective ; elle recouvre à la fois des situations de (grande) pauvreté matérielle et des vécus personnels de personnes qui craignent pour le lendemain, à tort ou à raison ; l’avenir des enfants est une préoccupation parfois douloureuse, a fortiori quand les moyens manquent, mais pas seulement ; la précarité est à la fois un état présent et un état potentiel ; ce sont à la fois les conditions de vie présentes, plus ou moins difficiles, et la peur de demain, la peur d’un « accident »… ;
  • la précarité se vit, comme la pauvreté, dans de nombreuses dimensions : conditions de vie matérielles, capital social, relations affectives… ;
  • le « basculement » d’une situation plus ou moins stable vers une situation plus ou moins précaire peut concerner toutes les personnes mais certaines catégories socio-économiques plus que d’autres ;
  • il n’y a pas d’automaticité dans le basculement ; c’est une question de circonstances et de fragilités individuelles qui se traduisent par des probabilités  ; d’où l’importance de faire la distinction entre les précarisables et les précarisés ;
  • la précarité est « contagieuse » dans le sens ou elle est vécue par les personnes directement et objectivement concernées mais également par ceux qui, à tort ou à raison (en termes de probabilités), se sentent (potentiellement) concernées ; c’est ce qu’exprime Régis Pierret quand il dit que « Nous sommes tous devenus vulnérables. » ou encore Roland Cayrol quand il observe que « On est tellement taraudés aujourd’hui par (la) question du chômage, pour soi-même, pour ses enfants et ses petits-enfants, que cela obère tout le reste et donne une teinte de mal-être profond à notre société. » ; plus fort encore, il est évident que l’on se situe en-dehors de toute probabilité « raisonnable » quand « Une large majorité des Français (60%) juge possible qu’eux-mêmes ou leurs proches se retrouvent un jour sans domicile fixe » comme ils l’ont exprimé dans un sondage en 2014.

La complexité de la réalité et l’étendue de la précarité dans nos sociétés doivent nous inciter à une grande prudence dans l’interprétation de l’indicateur de précarité. Ce n’est pas parce que l’indicateur construit « monte » – correspondant ainsi à une intuition et/ou une impression largement partagées que la précarité est orientée à la hausse et qu’on a donc envie d’y croire – qu’il est nécessairement pertinent et explicatif.

Si j’ai néanmoins décidé de publier ces premiers résultats c’est pour trois raisons principales :

  1. Entretenir le débat sur les indicateurs de pauvreté et de précarité. Il faut (vraiment) dépasser le traditionnel indicateur de pauvreté car il devient in fine contre-productif dans l’analyse et la politique sociales.
  2. Donner l’envie et la volonté de produire (ou produire à nouveau) d’autres indicateurs de pauvreté/précarité.
  3. Partager des résultats qui sont en soi intéressants, d’autant plus que certains peuvent étonner.  On notera en particulier la montée plus forte de l’indicateur de précarité chez les 50-64 ans et, globalement, chez les hommes. D’autre part, la fixation politique et médiatique sur l’évolution du chômage empêche d’avoir une vision plus large des catégories socio-économiques en difficultés et conduit à ignorer les « transferts » du chômage vers les CPAS et l’invalidité.

Plus de données, analyses et commentaires dans la note jointe, en espérant que cette note permettra de ranimer le débat pour améliorer notre regard sur nos concitoyens précaires.

Leave a Reply