En janvier 2022, l’IDD a publié une note intitulée « L’indexation des salaires et des barèmes fiscaux : des mécanismes à moderniser ». Son principal objectif était d’attirer l’attention sur le fait qu’en cas d’indexation en cours d’année, le salaire net augmente moins vite que le brut ; l’explication : les paramètres fiscaux sont indexés en début d’année et ne bougent plus jusqu’au début de l’année suivante.
Cette note a pour objet d’affiner l’analyse en étudiant l’évolution des salaires bruts et nets, à prix courants et réels, à la fois sur une base annuelle et sur une base mensuelle, pour trois modèles d’indexation : fonction publique, CP200 (Commission Paritaire Auxiliaire pour Employés) et CP310 (Commission Paritaire des Banques) ; ces modèles d’indexation ont été choisis parce qu’ils sont fort contrastés :
- fonction publique : indexation de 2% quand l’indice-pivot est franchi (indice-santé lissé)
- CP 200 : adaptation des salaires en janvier sur base de l’évolution de la moyenne des indices-santé lissés de novembre et décembre de l’année précédente par rapport à cette même moyenne de l’avant dernière année
- CP 310 : adaptation des salaires tous les deux mois (janvier, mars…) ; le pourcentage d’indexation est égal à l’évolution en pourcentage de l’indice-santé des 4 mois précédents, comparé à la moyenne arithmétique de l’indice-santé du 3ième au 6ième mois précédent l’adaptation.
La principale conclusion de l’analyse est que – dans la configuration actuelle d’évolutions de l’indice des prix à la consommation et de l’indice-santé lissé – les salariés perdent du pouvoir d’achat, malgré les mécanismes d’indexation des salaires existant ; certains travailleurs, comme ceux de la CP 200 sont particulièrement mal lotis, comme le montre le graphique ci-après. On notera encore que, malgré l’indexation annuelle des barèmes fiscaux, le salaire net réel serait fin 2023 inférieur à celui de janvier 2021, dans les trois situations.
Quelles conclusions tirer de ces illustrations des impacts dans le monde réel des mécanismes d’indexation ?
Hors augmentation salariale, l’évolution du pouvoir d’achat dans le monde réel dépend de beaucoup de paramètres : dynamique d’évolution des prix entre deux indexations, écart entre l’évolution de l’indice-santé lissé qui gère les indexations et celle de l’IPC, dates et modalités d’indexation du salaire brut, adaptation des montants et seuils de l’IPP (précompte professionnel) au début de chaque année, dont l’impact dépend du niveau de revenu et de la configuration du ménage ; en outre, les temporalités ne sont pas les mêmes ; en bref : la cohérence n’est pas au rendez-vous.
Toutes choses égales par ailleurs,
- le pouvoir d’achat est érodé en cours d’année en cas d’indexation du salaire brut parce que le barème fiscal n’est indexé qu’une fois l’an ; cette observation vaut quels que soient les paramètres des diverses indexations qui se télescopent ;
- la hauteur de l’impact négatif de la non indexation du barème fiscal en cours d’année est différente d’une convention collective à l’autre (en fonction des modalités d’indexation et du nombre d’indexations en cours d’année) ;
- le taux d’indexation appliqué une fois l’an aux montants et seuils fiscaux ne correspond pas nécessairement à l’évolution nominale des salaires en cours d’année, parce qu’elle est propre à chaque convention collective et parce que l’indexation des barèmes fiscaux se fait sur base de l’évolution des prix (IPC) de t-1 versus t-2 ; c’est en particulier le cas en 2022 : indexation des barèmes fiscaux de é,44% contre une augmentation moyenne des salaires horaires bruts de l’ordre de 6% ;
- en tout état de cause, entre deux indexations, on sait que le pouvoir d’achat est réduit à due concurrence de l’évolution des prix (sauf si les prix baissent…) ; quand l’IPC augmente plus que l’indice-santé lissé, ce qui est le cas dans la seconde moitié de l’année 2021 et une bonne partie de l’année 2022, la perte de pouvoir d’achat entre deux indexations s’en trouve accentuée.
Même si on touche à des matières techniquement un peu complexes et socialement et politiquement « sensibles » de même qu’à des traditions de fonctionnement sectorielles parfois anciennes, il me semble qu’il faudrait harmoniser les dispositifs d’indexation pour les rendre cohérents, plus lisibles et protégeant mieux le niveau de vie en cas de forte inflation.
Si on veut véritablement garantir le pouvoir d’achat des salariés et le stabiliser dans le temps, il faudrait donc, idéalement ,
- avoir des indexations salariales plus rapprochées ;
- adapter le barème fiscal à chaque indexation des salaires bruts pour que l’augmentation en net soit égale à l’augmentation en brut ; mais pour qu’une telle mesure puisse être mise en Å“uvre, il faut dès lors harmoniser les mécanismes et modalités d’indexation des salaires bruts entre secteurs ; en effet, même si on acceptait d’adapter tout au long de l’année les barèmes fiscaux, il faudrait le faire pour chaque convention collective puisque les modalités d’indexation diffèrent, ce qui complexifie la mise en Å“uvre d’une réforme – pour moi souhaitable – visant à faire évoluer le net comme le brut.
Tenant compte de l’analyse, la meilleure formule serait une harmonisation des modalités d’indexation des salaires et des barèmes fiscaux. Concrètement, la proposition serait d’indexer les salaires et les barèmes fiscaux chaque semestre, sur base de la même référence, permettant ainsi de limiter l’érosion du niveau de vie en cours d’année ; dans la foulée, le barème fiscal appliqué lors de l’enrôlement serait la moyenne des deux derniers barèmes semestriels. Une telle proposition rend les choses simples, cohérentes et rapproche les temporalités de toutes les indexations. Dans la foulée, ce mécanisme pourrait servir à l’indexation de diverses dépenses publiques, comme par exemple les subsides aux secteurs sociaux, les transferts du fédéral vers les régions et communautés, les bourses d’études, etc., etc. Il va de soi que ces mécanismes d’indexation vaudraient aussi pour les allocations sociales.
Une harmonisation des mécanismes d’indexation permettrait aussi d’éviter des effets collatéraux non désirés ; en effet, à la marge, des travailleurs peuvent se trouver en-deçà ou au-delà de seuils qui ouvrent le droit à divers avantages simplement parce que les règles d’indexation (temporalités et indices pris en considération) ne sont pas les mêmes.
Plus dans la note ici.
A votre disposition.
Philippe Defeyt