Trois conclusions essentielles :
- Le taux d’emploi des 20-64 ans mesuré par les données administratives est, au niveau national et en Flandre et en Wallonie, supérieur à celui estimé par l’Enquête sur les forces de travail. A Bruxelles il est inférieur.
- Mesurer le taux d’emploi des 20-64 ans par les données administratives aboutit à des évolutions plus robustes, reflétant mieux la réalité, que celles données par l’Enquête sur les forces de travail.
- L’augmentation des contrats étudiants et des contrats liés à des démarches formatives (stages, alternance, apprentissage et autres formations) explique à elle seule près de 45% de l’évolution des emplois précaires entre 2014 et 2018 et plus de 60% pour les 15-29 ans.
La consolidation, pour 2018, des deux principales sources statistiques en matière d’emploi (l’Enquête sur les forces de travail et la Comptabilité nationale) permet de revenir en profondeur sur deux indicateurs beaucoup discutés ces derniers temps : le taux d’emploi et l’emploi précaire.
Trouver des explications dans les divergences de niveaux et d’évolutions de l’emploi estimé par ces deux sources n’est pas évident, ne serait-ce que parce que l’Enquête sur les forces de travail a en 2017 modifié ses schémas de collecte des données.
Considérer que ces deux sources sont complémentaires – ce qui est l’attitude consensuelle – me semble un peu court, ne serait-ce que parce que les réponses agrégées aux questions de l’Enquête sur les forces de travail reposent sur des pondérations qui ne correspondent pas à celles découlant des données administratives.
Le taux d’emploi des 20-64 ans
Dans le cadre de la Stratégie EU2020, les pays membres sont supposés augmenter leur taux d’emploi (l’objectif pour la Belgique = 73,2%). L’indicateur retenu est le taux d’emploi des 20-64 ans, calculé sur base de l’Enquête sur les forces de travail ; il s’agit du rapport des personnes ayant un emploi sur l’ensemble de la population de la même catégorie d’âge.
Tenant compte des écarts importants en matière d’emploi global entre les estimations de la Comptabilité nationale et celles de l’Enquête sur les forces de travail, l’IDD a (ré)estimé l’emploi des 20-64 ans à partir des données administratives. Voici le résultat :
Les emplois temporaires
La publication des données suivantes à fait couler beaucoup d’encre, même si de nombreux observateurs ont rappelé qu’il y avait eu d’importants changements méthodologiques à partir de 2017 qui empêchent de tirer des conclusions définitives sur la « forte » augmentation de la précarité, en particulier chez les jeunes travailleurs.
Voici une décomposition de l’évolution de l’emploi précaire pour les années 2014 à 2018.
Conclusions et recommandations
Rappelons d’abord la grande prudence avec laquelle il faut utiliser les informations issues de l’Enquête sur les forces de travail. Et cette grande prudence s’impose donc aux estimations qui utilisent des données issues de l’Enquête sur les forces de travail, y compris les estimations de l’emploi national et régional (celles officielles ou celles de l’IDD présentées dans l’Annexe). Notons que toutes les estimations de l’IDD aussi doivent être appréhendées avec prudence, même si elles semblent plus robustes et plus cohérentes que les données correspondantes fournies par l’Enquête sur les forces de travail.
Avec cette réserve en tête, voici quelques conclusions statistiques
- Le taux d’emploi des 20-64 ans mesuré par les données administratives est, au niveau national et en Flandre et en Wallonie, supérieur à celui estimé par l’Enquête sur les forces de travail. A Bruxelles il est inférieur.
- Mesurer le taux d’emploi des 20-64 ans par les données administratives aboutit à des évolutions plus robustes, reflétant mieux la réalité, que celles données par l’Enquête sur les forces de travail, évitant ainsi, ce que certains ont déjà fait, de tirer des conclusions trop rapides sur base d’évolutions de court terme des données de l’Enquête sur les forces de travail.
- L’augmentation des contrats étudiants et des contrats liés à des démarches formatives (stages, alternance, apprentissage et autres formations) explique à elle seule près de 45% de l’évolution des emplois précaires entre 2014 et 2018 (telle que mesurée par l’Enquête sur les forces de travail).
- Enfin, des éléments dont on dispose émerge assez facilement l’hypothèse que les adaptations méthodologiques de l’Enquête sur les forces de travail à partir de 2017 ont conduit à « mettre à niveau » l’importance des emplois précaires plus que de refléter une augmentation forte de ceux-ci. L’emploi précaire aurait donc été sous-estimé dans le passé.
Il faut de l’exercice développé dans cette note tirer des recommandations politiques :
- Même si EUROSTAT impose des conventions statistiques et, dans certains cas, l’usage de l’Enquête sur les forces de travail, rien n’empêche la Belgique et les régions d’adopter leurs propres indicateurs, plus pertinents, et d’améliorer les données relatives à l’emploi.
- En matière d’emploi (national), il me semble qu’un découpage par âge des estimations macroéconomiques de l’emploi serait bien utile, à la fois pour mieux comprendre ce qui se passe sur le marché du travail, pour mieux calculer le taux d’emploi des 20-64 ans et pour éviter, comme le fait le Bureau fédéral du Plan, de calculer un taux d’emploi global en comparant emploi total (y compris les 65 ans et plus) avec la seule population des 15-64 ans.
- De nombreuses données fournies (de manière imparfaite) par l’Enquête sur les forces de travail, comme le type de contrat, le temps de travail, etc., pourraient être collectées sur une base administrative, concentrant dès lors la collecte des données sur des informations qualitatives (les intentions du travailleur, les raisons du temps partiel, etc.). Un parallèle doit être fait avec l’enquête SILC, qui mesure la distribution des revenus, les conditions de vie et le taux de pauvreté ; ici aussi on ne recourt pas (ou pas assez) aux données administratives a priori plus fiables.
- Enfin, je pense que dans l’Enquête sur les forces de travail, comme dans l’enquête SILC, il est inacceptable de ne pas tenir compte des personnes vivant dans des ménages collectifs.