Les dernières Perspectives du Bureau fédéral du Plan annoncent que la Belgique n’atteindra pas son objectif, dans le cadre des hypothèses retenues en tout cas.
Dans un tel contexte il est tentant d’aller voir ce qui se passe dans d’autres pays, notamment pour y chercher des orientations politiques et des mesures opérationnelles qui sont supposées être plus efficaces et que la Belgique ferait donc bien d’adopter. L’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède servent donc souvent de « modèles » à suivre.
Démarche intéressante, certes, mais qui doit peut être relativisée sur base du raisonnement suivant : toutes choses égales par ailleurs, un taux d’emploi identique n’a pas le même impact sur la soutenabilité de la protection sociale en fonction du salaire moyen et/ou du temps de travail moyen. Autrement dit encore, de manière plus directe, créer des emplois à temps (très) partiel et dont le salaire horaire est inférieur à la moyenne – ce qu’on appelle par exemple « minijobs » pour qualifier certains emplois créés en Allemagne depuis les réformes Harz – augmente certes le taux d’emploi mais n’accroît pas, à due concurrence, la capacité de financement de la protection sociale. Cette critique souligne en tout cas la relativité de l’objectif européen ; en caricaturant un pays pourrait satisfaire l’agenda européen en donnant quelques heures de travail, même mal payées, à chacun de ses citoyens.
Commençons par mesurer les taux d’emploi en équivalents temps plein pour déterminer ce que devient le classement européen des performances en matière de taux d’emploi. Cette approche n’est pas non plus sans faiblesse. C’est ainsi, par exemple, qu’il n’est nullement garanti que certaines heures de travail ne « disparaîtraient » pas si certains horaires et/ou certains types d’aménagement du temps de travail étaient rendus impossibles. Mais la comparaison des taux d’emploi mesurés classiquement et des taux d’emploi en équivalents temps plein peut permettre de comprendre mieux les spécificités des marchés du travail nationaux.
L’écart entre une mesure de l’emploi basée sur le nombre de travailleurs à une mesure de l’emploi en équivalents temps plein dépend de
– la proportion de travailleurs à temps partiel
– le temps de travail moyen de ceux-ci en pourcentage du temps de travail moyen d’un temps plein
– le nombre d’heures de travail accomplies par les travailleurs qui ont un second emploi.
En court, il s’agit de calculer – c’est un calcul purement mécanique – ce que serait l’emploi si toutes les heures de travail étaient prestées par des travailleurs à temps plein.
Les différences entre pays sont énormes :
– la proportion de travailleurs à temps partiel s’échelonne de 2,2% en Bulgarie à 46,9% aux Pays-Bas (Belgique : 24,1%)
– un temps partiel représente en moyenne 44% d’un temps plein à Chypre et 62,7% en Roumanie (Belgique : 56,2%)
– 8,9% des suédois ont un second emploi mais seulement 0,4% des bulgares (en Belgique : 4,1%)
– la part du volume d’heures de travail total assurée par ces emplois est néanmoins relativement modeste : le maximum – en Norvège – est de 2,9%, le minimum – en Bulgarie – est de 0,2% (en Belgique 1,2%).
A partir de ces différentes informations on peut calculer un taux d’emploi en équivalents temps-plein.
Observations essentielles :
– trois pays, souvent vus comme « bons élèves », sur lesquels les projecteurs se sont souvent braqués ces dernières années, à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, enregistrent un écart très important entre le taux d’emploi en nombre d’emplois et le taux d’emploi en équivalents temps plein très élevé, l’écart le plus important étant observé aux Pays-Bas (-14,5 % !) ;
– trois autres pays observent un écart supérieur important, à savoir l’Autriche, le Danemark et la Norvège ;
– ces six pays où l’écart est le plus important sont aussi ceux qui sont dans le haut du « classement » pour ce qui est du pourcentage de jobs salariés à horaire (très) faible (moins de 15 heures/semaine).
A partir de ces résultats, le tableau suivant classe les pays en fonction de leur performance sur chacune des mesures du taux d’emploi.
– on notera en particulier le recul de la 3ième à la 9ième place de l’Allemagne, de la 4ième à la 8ième place du Royaume-Uni, de la 7ième à la 23ième place des Pays-Bas et de la 9ième à la 17ième place de l’Autriche ;
– la performance relative (et absolue) de la Belgique reste (très) médiocre ; en équivalents temps plein les taux d’emploi des Pays-Bas et de la Belgique sont identiques.Les résultats pour 2015 sont évidemment la résultante des évolutions passées. L’Institut pour un Développement Durable a également examiné l’évolution de l’emploi salarié et de l’emploi salarié en équivalents temps plein entre 2000 et 2014 pour la Belgique et une sélection de pays européens.Une conclusion forte ressort de cet exercice : antre 2000 et 2014 l’emploi salarié comme l’emploi salarié en équivalents temps plein a augmenté proportionnellement plus en Belgique qu’en Allemagne, qu’aux Pays-Bas et qu’au Royaume-Uni.