De nombreux interlocuteurs sociaux ont donné récemment des interviews concernant les dossiers du futur Accord interprofessionnel. Dans cette perspective la dernière étude de l’Institut pour un Développement Durable revient sur la problématique des « pièges financiers » ou « pièges à l’emploi ».
On appelle « pièges financiers » ou « pièges à l’emploi » toute situation où le fait de passer du statut d’allocataire social à celui de travailleur (le cas échéant à temps partiel) débouche sur une très faible augmentation du revenu disponible net, voire une baisse de celui-ci.
Par rapport à cette problématique, l’étude de l’Institut pour un Développement Durable vise 3 objectifs :
- Affiner le calcul des pièges financiers en tenant compte que de plus en plus d’emplois proposés sont des emplois à temps partiel.
- Comparer les situations respectives des chômeurs et des bénéficiaires du droit à l’intégration sociale.
- Proposer quelques orientations et mesures pour rencontrer (un peu) mieux cette problématique.
Un constat accablant
Si l’on tient compte des frais encourus pour aller travailler, en particulier les frais de déplacement et de garde d’enfants, trouver ou retrouver un emploi est rarement intéressant sur le plan financier. Dans certaines situations, en particulier en cas d’emploi à temps partiel, la personne concernée peut même voir son revenu disponible diminuer !
Deux catégories de personnes/ménages sont surtout concernées : les chômeurs et les bénéficiaires du droit à l’intégration sociale.
On constate aussi que les chômeurs et les bénéficiaires du droit à l’intégration sociale (anciennement minimexés) ne sont pas traités de la même manière quand ils (re)touvent un job, en particulier pour les emplois qui représentent moins d’un 4/5ièmes.
Compléments d’analyse
Pour l’essentiel, ces résultats confirment les calculs et les conclusions d’autres travaux de même nature. Complétons l’analyse avec cinq considérations :
- On ne dira jamais assez que ce n’est pas parce qu’il y a perte de revenu disponible net que les personnes concernées ne (re)prendront pas un job.
- Ces calculs confirment que ce sont souvent les parents seuls pour qui la (re)mise au travail est financièrement la moins intéressante.
- Les hypothèses retenues par l’étude sont globalement « conservatoires ». Dans beaucoup de cas en effet, le coût total de la (re)mise à l’emploi est plus important que celui pris en compte ici.
- Les mesures décidées en juillet 2012 (au mieux 15 €/mois en plus de revenu disponible) apparaissent d’autant plus insuffisantes. Il est évident qu’elles ne changent pas fondamentalement la donne pour les arbitrages travail/non travail.
- On ne comprend pas pourquoi les « logiques » à l’œuvre sont différentes pour les chômeurs et les bénéficiaires du revenu d’intégration.
Que faire alors ?
A première vue la solution est (techniquement) simple : garantir que tout travailleur voie son revenu disponible augmenter en gardant au moins une partie du salaire gagné.
- Cette approche peut rapidement être très coûteuse pour les finances publiques.
- C’est la raison pour laquelle beaucoup de propositions de réforme envisagent un incitant qui diminue en fonction du temps de travail. Mais une telle approche risque d' »enfermer » les personnes concernées dans un emploi à temps partiel.
- Un système amélioré d’incitant au travail peut avoir des effets pervers sur la formation des salaires.
- Mais, surtout, tout système d’incitant(s) à la (re)mise au travail de bénéficiaires d’allocations de chômage ou du revenu d’intégration risque de créer des iniquités entre travailleurs. En effet, deux travailleurs dans des situations semblables auront un revenu global différent suivant qu’ils seront passés ou pas par la case ONEM ou CPAS.
Seul un système d’allocation universelle permet de dépasser ces limites. A défaut, certaines réformes peuvent améliorer la situation actuelle. Voici quelques orientations et mesures :
- Quel que soit le dispositif mis en place il doit traiter de manière semblable et équitable les chômeurs et les bénéficiaires du revenu d’intégration.
- Si on s’inspire du système de l’allocation de garanti de revenus, on peut y apporter les améliorations suivantes :
a) tenir compte au minimum des frais professionnels
b)être conçu de manière à ce que le revenu global ne baisse jamais.
- Il est possible de limiter ou de supprimer la perte d’avantages sociaux sur base de trois principes :
- mettre en place des dispositions sociales neutres par rapport aux revenus et au statut.
- Enfin, l’individualisation des allocations sociales devrait éviter de pénaliser d’autres personnes du ménage en cas de (re)mise au travail.
a) pas de « tout ou rien » ; la « disparition » d’avantages sociaux doit se faire progressivement, pas passer de 100% à 0% une fois un seuil franchi
b) l’octroi de tous les avantages sociaux devrait se faire sur base des revenus, non du statut
Une dernière hypothèse doit ici être examinée : augmenter les bas salaires, en tout cas en net. Certes, mais cette solution :
- risque de coûter plus cher encore que les autres pistes évoquées ci-dessus (en termes budgétaires certainement, en termes d’emplois peut-être)
- elle ne changerait pas fondamentalement la situation en l’état actuel de la législation puisque les allocations versées dépendent de la hauteur du salaire.
Cette piste peut évidemment être suivie mais pour d’autres raisons, en particulier une meilleure distribution primaire des revenus.
Dans le cadre de la logique actuelle des transferts et avantages sociaux, il n’est pas possible d’apporter une solution idéale et globale au problème des pièges financiers. Mais on peut déjà apporter de notables améliorations qui, de plus, pour certaines, profiteraient à tout le monde. On pense notamment aux réformes qui visent à lier les avantages et allocations au revenu plutôt qu’au statut (par exemple pour les allocations familiales majorées) et à la mise en place de dispositifs généraux neutres par rapport aux revenus et aux statuts (par exemple : une tarification progressive du gaz et de l’électricité).
Le lecteur intéressé trouvera plus de détails dans la note jointe.