Archive for the ‘Analyses’ Category

Pauvreté: une définition limitée, une politique à revoir

lundi, mars 14th, 2011

Depuis une dizaine d’années est considérée comme pauvre toute personne qui vit avec moins de 60% du revenu médian. Ces seuils de pauvreté ont le mérite d’être faciles à comprendre. Mais n’est-ce pas là une approche réductrice de la réalité et de sa complexité ?

L’étude jointe a pour objet de montrer l’urgence qu’il y a – au niveau belge — d’étendre les mesures pour éviter les erreurs de diagnostic sur le pourcentage total et les groupes-cibles en matière de pauvreté et ainsi éviter le « ressassement » d’estimations qui sont souvent mal comprises et de toute manière fort limitées.

Nos constats permettent de tirer six conclusions essentielles :

  1. On ne peut plus se contenter du seul indicateur de pauvreté monétaire, moins encore mettre tous les ménages pauvres dans une même catégorie indistincte ; il faut en particulier tenir compte de l’âge, la déprivation matérielle et immatérielle des personnes âgées étant moindre que la pauvreté calculée officiellement et de toute manière d’une nature différente.
  2. Il faut améliorer la connaissance des réalités socioéconomiques en recourant davantage aux banques de données administratives (couplées ou non avec les enquêtes) afin d’enrichir les constats faits sur la base d’enquêtes aux résultats parfois incertains.
  3. Il faut travailler plus en termes de besoins, en distinguant les ménages en fonction de leur composition, de l’âge de ses membres, du nombre et de l’âge des enfants, de leur statut de propriétaire ou de locataire (en distinguant le logement social et le secteur locatif privé)…, en tenant compte des aides dont ils bénéficient (par exemple sous la forme d’un loyer social ou d’un tarif électrique réduit), pas seulement des revenus.
  4. En particulier il faut tenir compte des résultats des travaux sur le budget standard pour redéfinir comment les besoins et revenus évoluent en fonction de la taille du ménage et de l’âge des enfants
    s’il y en a (les clés définissant les seuils de pauvreté par type de ménage sont d’évidence trop frustres). Ces travaux devraient être régulièrement actualisés et prendre en compte les résultats d’une
    consultation plus large.
  • L’expression n’est pas politiquement correcte mais il y a d’évidence un « noyau dur » de la population (entre 5 et 10%) qui cumule faibles revenus, difficultés matérielles, durée dans la pauvreté, faible implication sociale, accès limité voire nul à la culture, très peu ou pas d’espoir de voir « l’ascenseur social », notamment via l’enseignement et la formation, fonctionner.
  • L’accent n’est pas assez mis sur les inégalités et iniquités en matière d’accès aux richesses immatérielles (culture, santé, insertion sociale, participation citoyenne…) ; le faire permet d’élargir le débat, de ne pas se contenter du seul taux de pauvreté monétaire répété comme un mantra.
  • Vous trouverez ici la note complète en format PDF.

    Vu sa longueur et sa « densité » nous vous en proposons aussi un résumé.

    A votre disposition pour tout complément d’information.

    Philippe DEFEYT, économiste, Institut pour un Développement Durable
    Anne-Catherine GUIO, économiste. Elle s’exprime ici à titre personnel.

    Prix et revenus : que désire vraiment la BNB ?

    mardi, février 22nd, 2011

    Une nouvelle analyse de Philippe Defeyt.
    Accessible en cliquant sur ce lien.

    Une autre vision de la consommation : la proportion de consommateurs « actifs »

    vendredi, janvier 7th, 2011

    La principale source d’information sur la consommation des ménages belges est l’enquête annuelle sur le budget des ménages (EBM).

    L’utilisation classique des résultats de cette enquête est de calculer la structure de la consommation des ménages (par exemple, en 2008, la part des dépenses alimentaires des ménages représentait 12% de leurs dépenses totales) et la dépense moyenne (par exemple, en 2008, le ménage belge moyen a consacré 1.672 EUR à l’HORECA).

    Cependant, il faut faire très attention à l’interprétation de ce genre de résultats. En effet, une même dépense moyenne de X EUR peut être le résultat d’un petit nombre de consommateurs dépensant de très gros montants comme d’un grand nombre de consommateurs dépensant de petits montants. C’est ainsi, par exemple, que tous les ménages belges ne vont pas nécessairement au restaurant.

    S’appuyant sur cette observation, la dernière note de l’Institut pour un Développement Durable analyse la consommation de certains biens et services à partir de la proportion de consommateurs qui consomment tel ou tel type de produit. Cette approche, mise en oeuvre sur base d’une répartition des ménages en quartiles (en fonction de leurs revenus), permet de compléter ou d’illustrer les réalités sociologiques et culturelles associées au niveau des revenus.

    Cette note s’intéresse à quelques dizaines de consommations illustratives et significatives des différences socioéconomiques et socioculturelles.

    Tout le monde achète-t-il des plats préparés ? Combien de ménages consomment de produits bio ? Les riches en consomment-ils plus que d’autres ? Quels sont les produits bio les plus consommés ? Tous les
    ménages achètent-ils de l’essence ou du diesel ? Sont les pauvres qui utilisent le plus le bus ? Combien de ménages achètent-ils des livres ? Qui utilise le plus les bibliothèques ? Les riches jouent-ils souvent au loto ? Voilà quelques questions – parmi d’autres – auxquelles répond la note de l’Institut pour un Développement Durable.

    Le tableau reprenant les résultats complets pour plus de 1.000 postes de consommation est disponible sur simple demande.

    Marché du travail wallon : ne pas se réjouir trop vite: Actualisation

    mercredi, janvier 5th, 2011

    En décembre 2010, l’Institut pour un Développement Durable a rendue publique une note intitulée :
    « Marché du travail wallon : ne pas se réjouir trop vite ».Cette note a été reçue disons froidement par certains responsables publics et politiques.

    Pourtant cette note mettait en évidence trois évolutions difficilement contestables et posait une question expliquée par l’assainissement budgétaire qui nous attend dans les années à venir, à tous les niveaux de pouvoir.

    Les trois évolutions mises en évidence étaient :
    – l’augmentation de l’emploi en Wallonie à un an d’écart
    Рun redressement de moindre ampleur du volume de travail exprim̩ en ̩quivalents temps-plein
    – la place importante prise dans les créations d’emploi par des mesures de soutien à l’emploi très coûteuses sur le plan budgétaire (essentiellement en 2010 les mesures titres-services et win-win).

    La question était : ces soutiens sont-ils durables budgétairement parlant ?

    Les données récemment rendues disponibles par l’ONEM et l’ONSS ne peuvent que confirmer ce diagnostic. C’est pourquoi l‘Institut pour un Développement Durable propose une actualisation de ces données.

    Vous trouverez cette actualisation dans la note jointe, actualisation
    accompagnée de l’un ou l’autre commentaire.

    Indicateurs de la générosité des belges

    mercredi, octobre 27th, 2010

    On peut être généreux d’innombrables manières : faire un cadeau exceptionnel à ses enfants, transporter un voisin âgé à l’hôpital, faire un don suite à une catastrophe humanitaire, acheter du chocolat pour soutenir une association, payer pour des animations dans le cadre d’une fancy-fair participer à une soirée de mécènes, mettre ses compétences à la disposition d’un comité de parents, assurer une permanence pour un Groupement d’Achat Solidaire, participer à l’animation d’un quartier ou d’une paroisse, visiter des malades, des personnes âgées ou des détenu(e)s, etc. On peut aussi l’être plus ou moins dans la manière d’exercer son métier.

    On peut, classiquement, catégoriser ces actes de générosité en deux grandes typologies:
    1) La première s’intéresse aux personnes qui en bénéficient:
    – les proches (famille et amis)
    – les autres
    2) La seconde s’intéresse à la ressource mobilisée:
    – donner du temps
    – donner de l’argent
    – mettre à disposition des biens et/ou services (par ex : prêter un local).

    La présente contribution de l’Institut pour un Développement Durable s’intéresse plus particulièrement aux dons en argent et en temps en faveur des « autres ».

    Philippe Defeyt

    Cliquez ici pour télécharger l’étude

    Evolution de l’inégalité de revenu avant et après impôts en Belgique : un commentaire critique des résultats publiés par l’INS mai 2010

    vendredi, septembre 17th, 2010

    L’INS a publié sur son site, le 15 mars 2010, une étude intitulée : « Inégalité de revenu d’après le coefficient de Gini ». Son sous-titre : « Evolution de l’inégalité de revenu avant et après impôts en Belgique, d’après le coefficient de Gini sur base de données fiscales ».

    Cette étude de l’INS conclut à une « inégalité de revenus de plus en plus forte en Belgique. En 10 ans, de 1997 à 2007, l’inégalité de revenus avant impôts aurait augmenté de 16% et de 22% pour l’inégalité après impôts. L’inégalité de revenus est la plus faible en Flandre et la plus forte dans la Région de Bruxelles-Capitale.

    Comment expliquer cette évolution ?

    Il y a d’abord une incontestable croissance des inégalités. D’autres études l’ont montré. Cependant aucune étude n’indique une croissance aussi importante, en tout cas pour la Belgique.
    L’explication réside ailleurs : cette augmentation du coefficient de Gini est surtout expliquée par deux biais statistiques. Le premier est un enrôlement plus massif, au cours des dernières années en particulier, de contribuables (à petits revenus) qui ne l’étaient pas jusqu’à alors. Si cela est vérifié, il est évident que, toutes choses égales par ailleurs, cela augmente l’inégalité telle que mesurée par le coefficient de Gini.

    Le second biais statistique découle de l’augmentation du nombre d’UC (unités de consommation) liée aux évolutions sociodémographiques et non pas à celles des revenus : plus de personnes isolées et plus de personnes qui remplissent une déclaration pour eux-mêmes uniquement.

    Vous trouverez plus d’informations et éléments d’analyse dans la note jointe.

    Philippe Defeyt

    DES INDICATEURS DE PRÉCARITÉ SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

    vendredi, août 20th, 2010

    S’il y a un sentiment largement partagé aujourd’hui à propos du marché du travail c’est que la précarité y augmente.

    La dernière note de l’Institut pour un Développement Durable a pour objet d’examiner de plus près deux indicateurs de cette précarité, à savoir la proportion d’emplois temporaires et le travail à temps partiel. Elle examine aussi un 3ème indicateur, à savoir la proportion de travailleurs ayant un deuxième travail.

    Il s’agit bien d’indicateurs, en ce que ni un emploi temporaire ni un emploi à temps partiel ne sont automatiquement et pour tou(te)s sources de précarité, pas plus que le fait d’effectuer un 2ème travail n’est nécessairement la conséquence d’une situation précaire. Mais un emploi à temps partiel ou un contrat temporaire peuvent rendre la situation de certains travailleurs plus compliquée, plus fragile. Par exemple un contrat précaire rend l’obtention d’un crédit bancaire plus difficile. Il rend également plus difficiles certains choix de vie. Un contrat à temps partiel se révèle un piège pour une femme qui est quittée par son mari/compagnon, surtout si elle a un ou plusieurs enfant(s) à charge. On sait que le travail à temps partiel augmente le risque d’être sous le seuil de pauvreté, en particulier quand il y a des enfants à charge.

    On rappellera quand même – même si cela va de soi – que le principal risque de précarité sur le marché du travail est d’être chômeur. Les chômeurs ont un risque de pauvreté 7 fois supérieur à celui des travailleurs et environ deux fois supérieur à celui de la moyenne de la population.

    * * *

    Quels sont les principaux constats de l’Institut pour un Développement Durable?

    En ce qui concerne les emplois temporaires :

    • en Belgique, la proportion d’emplois (salariés) temporaires (8,2% en 2009) est inférieure à la moyenne européenne (13,5%) ;
    • le taux d’emplois temporaires est passé, entre 1983 et 2009, de 5,4 à 8,2% de la population des salariés, après avoir atteint un maximum en l’an 2000 ;
    • la proportion d’emplois temporaires a en effet reculé entre 2000 et 2009 et ce malgré la montée en puissance de l’intérim ;
    • en absolu, le nombre de travailleurs concernés a plus que doublé, passant de 150.000 à 310.000 ;
    • entre 1992 et 2000 on constate qu’il y a une forte chute de la durée moyenne des contrats, durée qui se stabilise par après ;

    La proportion d’emplois temporaires

    1. est plus élevée pour les salariés faiblement qualifiés ;
    2. est significativement plus élevée pour les moins de 25 ans (la proportion des emplois précaires a plus que doublé chez les jeunes entre 1983 et 2009).

    En ce qui concerne le travail à temps partiel :

    On sait à cet égard que :

    1. la proportion de salariées à temps partiel a très fort augmenté au cours des 25 dernières années pour atteindre aujourd’hui quasiment 50% ;
    2. la proportion de salariées à temps partiel est très variable en fonction de la catégorie professionnelle et du diplôme le plus important obtenu : elle diminue quand on « monte » dans l’échelle des professions et de niveau du diplôme ;
    3. le temps de travail moyen des personnes prestant à temps partiel est passé d’environ 20 heures à 24 heures semaine au cours des 25 dernières années.

    Le principal enseignement de l’étude de l’Institut pour un Développement Durable est ici de montrer que

    • la proportion de femmes exerçant à temps partiel est d’autant plus importante que le secteur est un secteur à faibles salaires ;
    • le temps de travail moyen des femmes travaillant à temps partiel est d’autant plus faible que le secteur est un secteur à faibles salaires.
    • Double discrimination donc. Par exemple, une femme salariée à temps partiel dans le secteur de l’énergie travaillera plus d’heures (environ 30 hrs/semaine) que la moyenne pour un salaire horaire supérieur de 44% à la moyenne et une salariée à temps partiel dans le secteur HORECA travaillera moins d’heures (environ 20 hrs/semaine) pour un salaire horaire inférieur de 40% à la moyenne.

    En ce qui concerne l’exercice d’un deuxième travail :

    • la proportion de personnes déclarant exercer un deuxième travail a doublé en une vingtaine d’années, passant de 2 à 4% de l’emploi total ;
    • cette proportion a surtout augmenté au cours des années 90 ;
    • en 2009, 175.000 personnes ont déclaré exercer un deuxième travail ;

    Les données rassemblées par l’Institut pour un Développement Durable permettent de constater que la proportion de travailleurs qui déclarent exercer un 2ème travail

    1. est plus élevée pour les professions intellectuelles et scientifiques que pour les manœuvres (proportion deux fois plus élevée) ;
    2. est plus de deux fois plus élevée pour les travailleurs ayant fait des études supérieures que pour ceux qui n’ont pas été plus loin que le secondaire inférieur.

    Tout ceci conduit à émettre l’hypothèse que la précarité n’est probablement pas le moteur principal pour prendre un deuxième travail.

    * * *

    Les femmes sont (plus) souvent pénalisées sur le marché du travail. Il en va de même avec les indicateurs de précarité retenus :

    1. elles ont plus souvent que les hommes un emploi temporaire, en particulier pour les femmes faiblement qualifiées et les jeunes femmes ;
    2. elles travaillent beaucoup à temps partiel et celles qui ont le moins d’heures de travail sont en moyenne celles qui gagnent le moins à l’heure ;
    3. elles ont moins souvent que les hommes l’occasion d’exercer un 2ème travail.

    Ces diverses observations sont développées et étayées dans la note jointe. A télécharger ICI.

    Philippe Defeyt

    Le boom des GAS…

    mercredi, août 18th, 2010

    On les appelle GAS (Groupe ou Groupement d’Achat Solidaire), GAC (Groupement d’Achats Communs) ou encore GASAP (Groupements d’Achats Solidaires de l’Agriculture Paysanne). Pour faire simple, nous les appellerons dorénavant GAA (Groupe d’Achat Alternatif). Combien sont-ils exactement en Wallonie et à Bruxelles ? Difficile à dire. Contrairement à leurs homologues flamands, les « Voedselteams », ils ne sont pas encore, pour l’instant, regroupés au sein d’une fédération unique. A Bruxelles, la plupart des GAA se retrouvent dans l’association « Le Rézo des GASAP » », en Wallonie certains se retrouvent dans le mouvement « Nature et Progrès ». Par ailleurs, l’association « Saveurs Paysannes » créée en 2007 par la FUGEA s’est donné pour objectif de jouer un rôle de facilitateur et de rassembler l’information sur les différentes initiatives existant en Wallonie dans le domaine des circuits courts d’approvisionnement alimentaire (dont les GAA sont une des variantes). On trouvera sur leur site une liste (non-exhaustive) de systèmes existant en Wallonie.
    Si on ne connait pas leur nombre exact, en revanche, on sait ( *) que la grande majorité d’entre eux n’a guère plus de 6 ou 7 ans d’existence même si certains ont vu le jour depuis bien plus longtemps. Ainsi, il existe un GAA à Seraing depuis 1987. Mais, dans l’ensemble il s’agit bien d’un phénomène récent, en tous cas en Wallonie et à Bruxelles.
    Que se passe-t-il au sein d’un GAA ? Un nombre oscillant entre 10 et 40 de ménages (mais plus souvent entre 10 et 20) décident d’acheter en commun auprès d’un ou plusieurs producteurs connus, un certain nombre de produits, le plus souvent alimentaires, dont ils assurent eux-mêmes la distribution. Ils se débrouillent pour trouver un local où stocker les produits, se répartissent les tâches telles que l’enregistrement des commandes, la collecte de l’argent pour payer le ou les producteurs, la permanence aux heures fixées dans le lieu où les ménages peuvent retirer leur commande, l’organisation des réunions, et, de façon générale, l’animation du groupe. Même si l’objet premier du GAA est l’accès à une forme d’alimentation et d’approvisionnement aux antipodes du modèle de la consommation de masse, autour de la nourriture et à partir d’elles, d’autres activités se déploient souvent, des liens humains se tissent, des échanges ont lieu, des discours se construisent. Car ce que l’on vient chercher dans un GAA, pour la plupart, ce n’est pas seulement une nourriture de qualité, c’est aussi de la convivialité, du lien social, du sens. Dans le fond, peut-être ces « suppléments d’âme » font-ils partie de ce qu’il faut entendre par « nourriture de qualité », d’une qualité véritablement totale qui déborderait le simple produit final pour englober l’ensemble du processus de production et de distribution ?
    Comme tous les consommateurs aujourd’hui, les membres d’un GAA sont à la recherche d’une alimentation saine. Or, à l’évidence, il existe de nombreuses conceptions, définitions et critères de ce qu’est une nourriture saine, au point que le consommateur, dans bien des cas, ne sait plus à quel « sain » se vouer… A celui, techno-bureaucratique de l’AFSCA ? A celui des publicités pour les produits dits allégés ou « naturels » de l’industrie agro-alimentaire ? A celui que garantissent ces labels de plus en plus opaques et de plus en plus nombreux au point de se concurrencer l’un l’autre? Pour les mangeurs des GAA, une alimentation saine est une alimentation « naturelle ». Notons en passant qu’on assiste ici à un curieux retournement. La cuisine et les différents modes de traitement des aliments sont une transformation de nature en culture dans le but de domestiquer un produit sauvage et donc, potentiellement dangereux. Car, pendant des siècles, c’est la nature qui a été perçue comme dangereuse, et la culture, au contraire, était un facteur de rassurance. Mais aujourd’hui, la dangerosité semble avoir changé de camp. Dorénavant, pour les mangeurs des GAA mais, aussi bien, pour beaucoup de consommateurs traumatisés par les crises qui se sont succédées : ESB, peste aviaire, langue bleue et autres, le risque, dorénavant, vient de la culture (les procédés de l’industrie agro-alimentaire) et c’est la nature qui nous paraît bénigne.
    Pour les GAA, un produit sain est un produit dont on connaît l’origine, l’histoire, le parcours, de la semence à l’assiette, un parcours où nulle intervention suspecte de la chimie ou du génie génétique n’est venue interférer avec le cours que la nature dicte à la croissance et au développement des végétaux et des animaux. D’où l’importance de la proximité entre producteur et consommateur et de l’adéquation du produit aux conditions propres du lieu, du terroir, du climat. Il s’agit donc ici aussi, comme dans l’alimentation de masse, de traçabilité, mais on voit que c’est une traçabilité très différente de celle, bureaucratique et impersonnelle, dont s’occupe un organisme comme l’AFSCA. Ce qui la garantit, ce ne sont pas des certificats ou des labels octroyés par des organismes ou des administrations anonymes mais la connaissance personnelle du producteur, de ses produits et de son activité.
    C’est pourquoi les GAA sont à la recherche d’aliments à forte identité locale et même « sociale ». Le légume, la volaille, le fromage, etc., qui intéresse le mangeur des GAA est fortement personnalisé : on connaît son origine, son lieu de production, le nom, le prénom et même parfois le visage de celui ou celle qui l’a produit, les conditions et les méthodes de culture ou de transformation mises en œuvre, bref tout ce qui contribue à faire de ce produit quelque chose d’unique, de différent de tous les autres produits apparemment similaires. Une carotte est un carotte est une carotte ? Faux : celle-ci est une « demi-longue de Luc », cultivée par M. et sa femme E. dans leur ferme de L. sans engrais et sans pesticides. On se démarque ici au maximum de ces produits sans feu ni lieu, anonymes, sans racines, standardisés et sans personnalité de l’industrie agro-alimentaire, ces « Objets Comestibles Non Identifiés » (selon l’heureuse formule de Claude Fischler) qui peuplent les linéaires des hyper et des supermarchés. Cette insistance sur l’identité territoriale et culturelle du produit alimentaire et sur le lien humain entre producteur et consommateur inscrit les GAA dans un mouvement plus général que l’on pourrait qualifier de « dé-marchandisation » de la consommation alimentaire.
    L’extension de la consommation alimentaire de masse à partir des années 1960 a coïncidé avec une augmentation considérable de l’autonomie individuelle en matière de pratiques alimentaires (choix des aliments, horaires de prise de nourriture, rituels des repas) au point que Fischler a pu parler à ce propos de « gastro-anomie ». On a alors assisté, dans la plupart des pays occidentaux (mais avec une intensité variable) à une disparition progressive des principaux repères normatifs qui encadraient jusqu’alors la prise de nourriture que ce soit en termes de rythme et de périodicité des repas, de composition des menus, de modes de cuisson, etc … Le développement récent des GAA ainsi que d’autres pratiques alternatives comme le « slow food » marque-t-il comme le retour à une certaine re-normalisation des pratiques alimentaires ? Dans les GAA, le consommateur renonce à une part de liberté de choix, par exemple en acceptant de se voir livrer des paniers de fruits et légumes dont la composition échappe à son contrôle, en renonçant à consommer certains produits exotiques, en s’obligeant à suivre le rythme naturel de maturation des fruits et des légumes suivant le cycle des saisons. En échange, il retrouve une sorte de « gastro-nomie », une norme alimentaire qui allie souci de soi (caractère sain des aliments, saveurs retrouvées, accroissement de savoir, de compétence et de maîtrise dans la connaissance des produits, de leur vertus, des modes de préparation) et souci de l’autre : le producteur local, l’environnement. Car, même si l’écologie n’est pas nécessairement la première préoccupation de tous les participants d’un GAA, il s’agit néanmoins d’un souci largement partagé et il est clair que la démarche est porteuse de sens sur le plan environnemental. On a émis, peut-être non sans raison, des doutes quant au bilan des GAA en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Il est à craindre que dans le domaine du transport des aliments, leur bilan soit, en effet, plus défavorable que celui de la grande distribution dont le ratio CO2/kcal est probablement inférieur à celui des GAA du fait des économies d’échelle résultant des grandes quantités transportées par km parcouru. Mais là n’est sans doute pas l’essentiel. Indépendamment même de toute visée environnementaliste, la relocalisation du cycle production-consommation alimentaire qui est au cÅ“ur de la philosophie des GAA permet le maintien (ou le retour à ) des écosystèmes domestiques diversifiés, plus riches en biodiversité, plus résilients et moins toxiques que les écosystèmes domestiques hyperspécialisés (tels que la « corn belt » aux USA ou la Pampa argentine mais aussi, à échelle nettement plus réduite, la Beauce, voire la Hesbaye…) d’où provient la majorité de l’alimentation agro-industrielle.
    A quels problèmes les GAA apportent-ils une réponse ? La démarche des GAA propose une solution à différents problèmes auxquels sont confrontées trois catégories d’agents : les agriculteurs (et plus particulièrement, l’agriculture familiale), les consommateurs et la collectivité. Aux agriculteurs elle donne la possibilité de se dégager de l’emprise de la grande distribution qui met nos agriculteurs en concurrence avec les agricultures de Russie, d’Europe de l’Est voire de plus loin encore. Elle leur permet également de sortir d’un schéma productiviste axé sur la monoculture, la mécanisation et l’usage intensif d’intrants coûteux, dangereux pour la santé (la leur d’abord et celle des consommateurs ensuite) et l’environnement et qui les condamne à l’endettement, à la dépendance vis-à -vis des grands groupes agro-industriels et les expose aux effets de la spéculation mondiale sur les cours des matières agricoles. On a vu ce qu’elle apportait aux consommateurs : une alimentation saine, naturelle, de qualité et riche de sens. A la collectivité, elle apporte la possibilité d’une recréation de solidarités locales et de restauration d’un environnement moins pollué, plus riche en biodiversité et en diversité paysagère. Reste à voir si ces réponses sont les plus adéquates et les plus durables. Les GAA ont-ils un avenir et si oui, lequel? A priori, il semble bien que cette démarche soit destinée à rester très marginale, concurrencée sur sa droite par la grande distribution et sur sa gauche, par d’autres formes de circuit-courts telles que les marchés fermiers, la vente directe, ou, pourquoi pas, le retour du commerce de proximité. Selon une étude récente (juin 2010) du CRIOC, seuls 11% des consommateurs wallons et bruxellois connaissent le principe du GAA et, dans l’échantillon interrogé, ils ne sont que 1% à y recourir. Quant aux utilisateurs potentiels, ils ne représentaient également qu’1% de l’échantillon. Les résultats seraient probablement assez différents en région flamande où les « Voedselteams» sont nettement plus répandus qu’en région wallonne mais sans changer fondamentalement le constat : il s’agit pour l’instant d’une démarche extrêmement minoritaire. L’avenir des GAA dépend de bien des choses : de l’évolution de l’agriculture, d’abord, à laquelle ils sont étroitement associés et sur laquelle ils pourront exercer une influence correspondant à leur poids dans la consommation alimentaire ; et puis, de façon générale, des politiques publiques en matière de transport, de surfaces commerciales, de fiscalité (TVA), de normes sanitaires, etc. Il dépendra bien sûr aussi de l’évolution dans nos façons de penser le bien-être, le développement, la solidarité. Le couple productivisme-consumérisme continuera-t-il à dominer notre imaginaire social et les politiques qui en sont la concrétisation ou de nouveaux modèles culturels dont les GAA constituent la préfiguration finiront-ils par s’imposer ? Mais, finalement, c’est sans doute d’abord et avant tout des membres des GAA eux-mêmes que dépend l’avenir de leur démarche : ont-ils aujourd’hui, auront-ils demain, le désir, la volonté et la capacité d’évoluer, de s’adapter, d’apprendre et de communiquer afin de la rendre de plus en plus attractive pour les producteurs comme pour les consommateurs et de lever les obstacles qui s’opposent à son extension sans sacrifier les principes fondamentaux qui l’animent ?

    Paul-Marie Boulanger

    (*) Les informations présentées ici proviennent d’une enquête menée par l’Institut pour un Développement Durable auprès des GAA de Wallonie et de Bruxelles, enquête réalisée dans le cadre du projet de recherche « Consentsus » financé par le Service Public Fédéral « Recherche Scientifique » et réalisé en partenariat avec le Centre d’Etudes du Développement Durable de l’ULB et le Centrum Voor Duurzame Ontwikkeling de l’Université de Gand. Pour le rapport complet voir : A.-L Lefin et P.-M Boulanger (2010) : « Enquête sur les systèmes alimentaires locaux. Présentation des résultats ». IDD, Ottignies. Téléchargeable ici.

    Le Développement Durable : entre mythe et utopie

    mardi, août 17th, 2010

    Depuis son entrée officielle dans le monde, en 1987 avec la publication du fameux rapport Brundtland, le développement durable a connu un succès probablement sans précédent dans l’histoire des idées. En l’espace d’une génération, il a pris possession de l’espace public mondial, des moyens de communication de masse, des centres de recherche scientifique, des étagères des libraires. Le site « amazon.fr », par exemple, ne recense pas moins de 2673 livres en français dont le titre comprend le vocable « développement durable ». Une recherche identique avec « sustainable development » sur le site « amazon.com » permet d’identifier 39264 ouvrages. Aucune entreprise soucieuse de son image ne peut ignorer le développement durable, et d’autant moins que son activité s’en éloigne davantage. Les rapports annuels de ces entreprises les plus branchées affichent fièrement leur « triple bottom line », leur triple bilan économique, social environnemental. Les Etats-nations à la pointe en la matière l’ont inscrit dans leur charte fondamentale et une municipalité un tant soit peu branchée se doit d’avoir un Agenda 21.
    Toute cette agitation, un peu désordonnée et pas toujours très honnête intellectuellement, ne va pas sans susciter des interrogations quant à la signification réelle et à l’utilité pratique de ce concept. Après des années d’unanimisme peut-être suspect, le doute s’installe petit à petit….

    Paul-Marie Boulanger

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    La baisse de la TVA dans l’HORECA – Analyse économique des promesses du secteur

    lundi, juin 21st, 2010

    Le début d’année n’a pas été très favorable pour le secteur de l’HORECA : baisse probable de l’emploi et augmentation du chômage. Dans ce contexte, la dernière étude de l’Institut pour un Développement Durable revient sur les promesses du secteur – principalement en matière d’emplois – faites à l’occasion du passage de la TVA à 12% pour la restauration.

    Cette note propose une présentation du secteur (avec des estimations pour l’année 2009) et des éléments d’analyse économique quant au coût pour l’Etat de la baisse du taux de TVA.

    En voici la principale conclusion : la mesure serait neutre pour le budget de l’Etat à condition de créer les 6.000 emplois promis et de blanchir environ 8,5% de l’activité HORECA attribuable aux ménages, tout cela de manière additionnelle par rapport aux probables retombées positives de la reprise économique.

    Vous trouverez plus d’informations et éléments d’analyse dans la note jointe.