Bernard Clerfayt, le ministre bruxellois de l’emploi, a déclaré ceci sur le plateau de LN24 (14 avril 2023) : « Beaucoup de femmes sont encore dans un modèle méditerranéen, que ce soient des Italiens, Marocains ou Turcs d’origine. C’est un modèle familial où monsieur travaille et madame reste à la maison pour s’occuper des enfants ». Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a suscité un torrent de réactions.
La présente note de l’IDD vise à alimenter et à structurer une réflexion sur cette prise de position, avec des statistiques basées sur les données de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS) ; il ne s’agit donc pas de conclure à ce stade-ci une analyse forcément complexe tant elle nécessite d’activer des disciplines et approches différentes mais plutôt de proposer quelques clés de lecture permettant d’exclure des approches simplistes ou orientées.
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On constate d’abord (voir graphique ci-après) qu’en effet, le taux d’emploi des femmes vivant en couple avec enfant(s) d’une des trois « origines » méditerranéennes est plus faible que celui des femmes d' »origine » belge, ce qui ne constitue pas vraiment une surprise ; il est particulièrement faible pour les femmes d’ »origine » maghrébine (31% pour les 25-64 ans).
Voici quelques clés de lecture :
- Il faut d’abord interpréter avec prudence les « origines » (dans cette note le mot a été placé systématiquement entre guillemets pour cette raison). D’abord, parce que la définition de la BCSS peut donner lieu à de multiples configurations en ce qui concerne les « origines ». Ensuite, parce que d’autres indicateurs sur les « origines » sont possibles. Enfin, les « origines » ne peuvent d’évidence pas tout expliquer.
- Des écarts semblables sont observés, même s’ils sont moindres, dans d’autres types de ménages (couples sans enfants, ménages monoparentaux, personnes isolées), donnant a minima une portée limitée à l’hypothèse d’une explication centrale du genre « modèle méditerranéen » (sous-entendu : femme en couple avec enfant(s) qui « reste à la maison »).
- Les taux d’emploi des hommes vivant en couple avec enfant(s) sont également moindres pour ceux d' »origine » méditerranéenne, même si les écarts (par rapport aux personnes d' »origine » belge) sont moins importants que chez les femmes.
- Les taux d’emploi et les écarts entre ceux-ci compte tenu de l' »origine » peuvent varier aussi en fonction du contexte régional/local ; c’est ainsi, par exemple, que le taux d’emploi des femmes d’origine maghrébine est en absolu et en termes relatifs meilleur en Flandre et en Wallonie qu’à Bruxelles.
- Les situations ne sont pas figées : des progrès absolus et relatifs en matière de taux d’emploi des femmes d' »origine » méditerranéenne ont été enregistrés entre 2010 et 2021, en particulier pour les 50-64 ans.
- Les écarts (« origines » méditerranéennes / « origine » belge) sont moins importants pour ce qui concerne le taux d’activité, ce qui implique que les taux de chômage sont plus importants pour les femmes d' »origine » méditerranéenne. On observe, pour certaines situations, des taux de chômage très élevés.
- Enfin, on sait que, d’une manière générale, les taux d’activité et les taux d’emploi sont aussi influencés par le niveau d’études. Or, tout indique que les populations d' »origines » maghrébine et turque ont une structure en termes de formation moins favorable pour ce qui est de l’insertion sur le marché du travail.
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Comme dit d’emblée, les données présentées et commentées dans la note de l’IDD ne permettent pas de faire le tour de la question. Les différences de taux d’activité, de taux d’emploi et de taux de chômage constatées entre les femmes en couple avec enfant(s) suivant leur « origine » sont le résultat de nombreux facteurs dont font partie : les discriminations liées à l' »origine » (établies par ailleurs), les niveaux d’études, les proportions de femmes dépendantes des CPAS et le dynamisme plus ou moins marqué du marché de l’emploi local, tous facteurs qui jouent a priori en défaveur des femmes d' »origine » méditerranéenne à Bruxelles.
Il y a d’autres facteurs explicatifs des différences, mais les données me semblent manquer pour les repérer et les quantifier ; d’autres disciplines (sociologie, anthropologie…) doivent aussi être mobilisées pour essayer d’y voir plus clair.
En attendons, rappelons qu’il y avait à Bruxelles, en décembre 2021, 6.000 femmes en couple avec enfant(s) d' »origine » méditerranéenne (dont 2.200 non indemnisées par l’ONEM) qui étaient demandeuses d’emploi ; si elles avaient eu un job, les taux d’emploi des femmes d' »origine » maghrébine et turque se seraient situés au même niveau qu’en Flandre.
La note est disponible ici et l’annexe statistique ici.
Philippe Defeyt