INTRODUCTION
Le seuil de pauvreté et par conséquent le pourcentage de la population en risque de pauvreté sont estimés à partir d’une enquête annuelle appelée SILC. Cette enquête est administrée dans tous les pays de l’Union plus quelques autres pays européens.
SILC est l’acronyme pour Statistics on Income and Living Conditions. Le terme Statistics apparaît en Belgique inadéquat puisqu’il s’agit, chez nous, d’une enquête. En fait, dans beaucoup de pays, le seuil de pauvreté national est calculé sur base de données administratives, fiscales et sociales.
C’est dommage qu’en Belgique il s’agisse (uniquement) d’une enquête, car on sait les limites d’une enquête : échantillon qui peut être insuffisamment représentatif, intervalles de confiance parfois larges, réponses douteuses sur des points délicats (comme, par exemple, les revenus de la propriété), réponses manquantes (et les méthodologies pour combler les non-réponses sont discutables), absence probable de certaines sous-populations (les très riches et les très pauvres en particulier), etc.
Bref, dommage que la Belgique ne suit pas les lignes directrices européennes qui encouragent le recours aux répertoires (de données) existants. C’est d’autant plus dommage qu’ils sont en Belgique bien développés. On pense par exemple aux fichiers de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale et des données fiscales.
Dans ce contexte, la dernière publication de l’Institut pour un Développement Durable fait une critique statistique du seuil de pauvreté belge et propose une autre estimation de celui-ci.
UN CONSTAT MAJEUR
L’enquête SILC belge présente une importante limite : le revenu disponible global des ménages calculé à partir des données SILC est en-deçà de l’estimation macroéconomique ; suivant les années entre 80% et 90% environ.
On constate en effet que le revenu moyen par tête SILC est assez éloigné du revenu moyen estimé à partir des données macroéconomiques. L’écart moyen sur la période 2002-2012 est d’environ 4.500 €/an, soit environ 17% (du revenu macroéconomique). L’écart tend cependant à se réduire au cours des années les plus récentes.
LE SEUIL DE PAUVRETE
Ce qui compte pour déterminer le seuil de pauvreté c’est le revenu médian équivalent (à savoir un revenu où on tient compte de la composition et de l’âge des personnes qui composent chaque ménage).
Disons le d’emblée, estimer le revenu médian équivalent à partir de données macroéconomiques est un exercice hautement spéculatif. Le tenter en vaut cependant la peine, ne serait-ce que pour forcer un débat pour améliorer les estimations officielles du seuil de pauvreté.
Constatons en tout cas que d’autres pays font mieux que la Belgique en ce qui concerne la couverture des revenus disponibles des ménages par l’enquête SILC. C’est le cas des Pays-Bas et de la France, où en 2011 et 2012 l’estimation SILC et l’estimation macroéconomique sont très proches.
Tenant compte de diverses données et analyses détaillées dans la note jointe, voici l’estimation du seuil de pauvreté proposée par l’Institut pour un Développement Durable pour les années 2010 à 2013.
Sur la période 2010-2013, le seuil de pauvreté serait compris entre environ 1.170 et 1.210 €/mois. Il serait donc, en moyenne sur cette période, d’environ 100 € supérieur au seuil de pauvreté estimé par SILC. L’écart est moins important pour les années 2012 (environ 80 €/mois) et 2013 (environ 70 €/mois). En 2015, le seuil de pauvreté serait compris dans la même fourchette (environ 1.190 €/mois).
Il va de soi, commentaire essentiel, que ces estimations sont des ordres de grandeur, avec d’importants « intervalles de confiance ». Ceci dit, la probabilité que le « vrai » seuil de pauvreté soit supérieur à celui calculé par SILC est élevée.
Faisons remarquer que les écarts sont loin d’être des montants modestes. Très concrètement, en 2013, l’écart entre les deux seuils de pauvreté représente un montant annuel de 1.800 € nets pour un ménage de deux parents et deux jeunes enfants.
LE TAUX DE PAUVRETÉ
Il est raisonnable de penser que ce niveau de seuil de pauvreté conduit à une augmentation du taux de pauvreté.
Au total, sur base des informations (limitées) analysées par l’Institut pour un Développement Durable, on peut estimer que le taux de pauvreté augmenterait chez les moins de 65 ans et diminuerait chez les 65 et plus ; l’impact net – positif – sur le taux de pauvreté pourrait être limité à 1,0%/1,5%.Â
QUELQUES CONSIDÉRATIONS POLITIQUES
Rappelons d’abord en toute transparence que l’exercice effectué l’Institut pour un Développement Durable est un exercice délicat, voire casse-cou. Les estimations proposées ici valent donc ce que valent les intuitions et hypothèses plus ou moins pertinentes et les calculs qui s’en suivent. Mais, en tout état de cause, il semble difficile de nier une (plus que) probable sous-estimation du seuil de pauvreté et du taux de pauvreté.
Mais, tant pis, essayer de forcer le débat sur les limites et faiblesses de l’enquête SILC en vaut la chandelle. Forcer le débat à nouveau devrait-on dire. En effet, nous sommes quelques-uns à demander depuis plusieurs années plus de moyens pour l’enquête SILC et l’utilisation conjointe des banques de données administratives.
L’importance de l’enquête SILC en matière de la politique des revenus et de la politique sociale implique d’y consacrer des moyens humains et financiers supplémentaires. Ces moyens supplémentaires devraient permettre 1° d’augmenter la taille de l’échantillon et 2° de contrôler mieux les réponses. Pour l’enquête SILC il faut absolument combiner beaucoup plus qu’aujourd’hui les données administratives (Banque carrefour, déclarations fiscales…) et les données résultant d’enquêtes.
Ceci dit, il apparaît clairement que la principale faiblesse de l’enquête SILC se situe du côté des revenus de la propriété, et en particulier des intérêts et des dividendes. Si d’autres données dont on dispose peuvent contribuer à améliorer la fiabilité de l’enquête SILC, il faut reconnaître, en l’absence d’un cadastre des patrimoines, que ces revenus restent plus difficiles à cerner au niveau microéconomique. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer à essayer de faire mieux qu’aujourd’hui. En tout cas d’autres pays semblent, à première vue, arriver à de meilleurs résultats en la matière. C’est notamment le cas de la France.
Une plus correcte estimation du seuil de pauvreté est donc nécessaire dans le cadre des conventions actuelles qui fixent le niveau et la méthodologie du seuil de pauvreté.
Mais, rien n’oblige à considérer ces conventions comme intangibles. En outre, libre à l’Etat fédéral et aux régions de publier des indicateurs complémentaires ou de modifier l’une ou l’autre convention pour usage propre. Deux conventions doivent à mon estime être questionnées :
– la non-prise en compte des revenus imputés, à savoir le « bénéfice » qui découle d’être propriétaire de son logement
– la clé utilisée – dite échelle OCDE modifiée – pour calculer le niveau de vie relatif d’un ménage en tenant du nombre et de l’âge des personnes qui composent le ménage.
Une estimation des revenus imputés fait partie des données qui doivent être réunies par l’enquête SILC. Cette variable, très importante dans un pays ou pratiquement 70% (80% pour les ménages âgés) des ménages sont propriétaires n’est pas exploitée en Belgique. Pourquoi s’obstine-t-on, en Belgique, à ne pas tenir compte de ces revenus pour estimer le taux de pauvreté ? Certes, l’Europe n’a pas (encore) décidé de le faire. Mais on pourrait publier cet indicateur parallèlement au taux de pauvreté « officiel« . L’impact de la prise en compte des loyers imputés sur le taux de pauvreté a été estimé en 2009 : -1,7% pour le taux de pauvreté global et quasiment -10% pour le taux de pauvreté des 65 ans et plus.
L’échelle OCDE modifiée est une très ancienne convention qui ne correspond probablement plus aux réalités vécues dans de nombreux ménages de plus d’une personne. Des travaux rigoureux doivent être entrepris pour la corriger au niveau belge, en attendant d’éventuels évolutions au niveau d’EUROSTAT.
Il importe donc, me semble-t-il, de travailler en Belgique – et dans ses régions – dans trois directions :
1. Améliorer l’estimation du seuil et du taux de pauvreté tels que définis dans les conventions européennes. Les outils pour ce faire sont disponibles.
2. Publier un taux de pauvreté tenant compte des loyers imputés.
3. Travailler en profondeur la question des unités de consommation afin de mieux mesurer le niveau de vie des ménages en fonction du nombre et de l’âge des personnes qui composent le ménage.
La question en devient lancinante : qu’est-ce qui empêche l’État fédéral et les régions de se mobiliser autour de ce triple objectif ?
Enfin, il faudrait réactiver le débat en Belgique sur d’autres approches de mesure de la pauvreté. Le taux de pauvreté SILC est, in fine, avant tout un indicateur de la position relative des ménages par rapport au revenu médian. Mais des mesures de la pauvreté absolue – en clair combien de personnes/ménages n’ont-ils pas les revenus suffisants pour faire face à leurs besoins personnels et sociaux – devraient compléter l’approche SILC.
Plus d’éléments (données et analyses) dans la note jointe.