Evolution de l’inégalité de revenu avant et après impôts en Belgique : un commentaire critique des résultats publiés par l’INS mai 2010

septembre 17th, 2010

L’INS a publié sur son site, le 15 mars 2010, une étude intitulée : « Inégalité de revenu d’après le coefficient de Gini ». Son sous-titre : « Evolution de l’inégalité de revenu avant et après impôts en Belgique, d’après le coefficient de Gini sur base de données fiscales ».

Cette étude de l’INS conclut à une « inégalité de revenus de plus en plus forte en Belgique. En 10 ans, de 1997 à 2007, l’inégalité de revenus avant impôts aurait augmenté de 16% et de 22% pour l’inégalité après impôts. L’inégalité de revenus est la plus faible en Flandre et la plus forte dans la Région de Bruxelles-Capitale.

Comment expliquer cette évolution ?

Il y a d’abord une incontestable croissance des inégalités. D’autres études l’ont montré. Cependant aucune étude n’indique une croissance aussi importante, en tout cas pour la Belgique.
L’explication réside ailleurs : cette augmentation du coefficient de Gini est surtout expliquée par deux biais statistiques. Le premier est un enrôlement plus massif, au cours des dernières années en particulier, de contribuables (à petits revenus) qui ne l’étaient pas jusqu’à alors. Si cela est vérifié, il est évident que, toutes choses égales par ailleurs, cela augmente l’inégalité telle que mesurée par le coefficient de Gini.

Le second biais statistique découle de l’augmentation du nombre d’UC (unités de consommation) liée aux évolutions sociodémographiques et non pas à celles des revenus : plus de personnes isolées et plus de personnes qui remplissent une déclaration pour eux-mêmes uniquement.

Vous trouverez plus d’informations et éléments d’analyse dans la note jointe.

Philippe Defeyt

DES INDICATEURS DE PRÉCARITÉ SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

août 20th, 2010

S’il y a un sentiment largement partagé aujourd’hui à propos du marché du travail c’est que la précarité y augmente.

La dernière note de l’Institut pour un Développement Durable a pour objet d’examiner de plus près deux indicateurs de cette précarité, à savoir la proportion d’emplois temporaires et le travail à temps partiel. Elle examine aussi un 3ème indicateur, à savoir la proportion de travailleurs ayant un deuxième travail.

Il s’agit bien d’indicateurs, en ce que ni un emploi temporaire ni un emploi à temps partiel ne sont automatiquement et pour tou(te)s sources de précarité, pas plus que le fait d’effectuer un 2ème travail n’est nécessairement la conséquence d’une situation précaire. Mais un emploi à temps partiel ou un contrat temporaire peuvent rendre la situation de certains travailleurs plus compliquée, plus fragile. Par exemple un contrat précaire rend l’obtention d’un crédit bancaire plus difficile. Il rend également plus difficiles certains choix de vie. Un contrat à temps partiel se révèle un piège pour une femme qui est quittée par son mari/compagnon, surtout si elle a un ou plusieurs enfant(s) à charge. On sait que le travail à temps partiel augmente le risque d’être sous le seuil de pauvreté, en particulier quand il y a des enfants à charge.

On rappellera quand même – même si cela va de soi – que le principal risque de précarité sur le marché du travail est d’être chômeur. Les chômeurs ont un risque de pauvreté 7 fois supérieur à celui des travailleurs et environ deux fois supérieur à celui de la moyenne de la population.

* * *

Quels sont les principaux constats de l’Institut pour un Développement Durable?

En ce qui concerne les emplois temporaires :

  • en Belgique, la proportion d’emplois (salariés) temporaires (8,2% en 2009) est inférieure à la moyenne européenne (13,5%) ;
  • le taux d’emplois temporaires est passé, entre 1983 et 2009, de 5,4 à 8,2% de la population des salariés, après avoir atteint un maximum en l’an 2000 ;
  • la proportion d’emplois temporaires a en effet reculé entre 2000 et 2009 et ce malgré la montée en puissance de l’intérim ;
  • en absolu, le nombre de travailleurs concernés a plus que doublé, passant de 150.000 à 310.000 ;
  • entre 1992 et 2000 on constate qu’il y a une forte chute de la durée moyenne des contrats, durée qui se stabilise par après ;

La proportion d’emplois temporaires

  1. est plus élevée pour les salariés faiblement qualifiés ;
  2. est significativement plus élevée pour les moins de 25 ans (la proportion des emplois précaires a plus que doublé chez les jeunes entre 1983 et 2009).

En ce qui concerne le travail à temps partiel :

On sait à cet égard que :

  1. la proportion de salariées à temps partiel a très fort augmenté au cours des 25 dernières années pour atteindre aujourd’hui quasiment 50% ;
  2. la proportion de salariées à temps partiel est très variable en fonction de la catégorie professionnelle et du diplôme le plus important obtenu : elle diminue quand on « monte » dans l’échelle des professions et de niveau du diplôme ;
  3. le temps de travail moyen des personnes prestant à temps partiel est passé d’environ 20 heures à 24 heures semaine au cours des 25 dernières années.

Le principal enseignement de l’étude de l’Institut pour un Développement Durable est ici de montrer que

  • la proportion de femmes exerçant à temps partiel est d’autant plus importante que le secteur est un secteur à faibles salaires ;
  • le temps de travail moyen des femmes travaillant à temps partiel est d’autant plus faible que le secteur est un secteur à faibles salaires.
  • Double discrimination donc. Par exemple, une femme salariée à temps partiel dans le secteur de l’énergie travaillera plus d’heures (environ 30 hrs/semaine) que la moyenne pour un salaire horaire supérieur de 44% à la moyenne et une salariée à temps partiel dans le secteur HORECA travaillera moins d’heures (environ 20 hrs/semaine) pour un salaire horaire inférieur de 40% à la moyenne.

En ce qui concerne l’exercice d’un deuxième travail :

  • la proportion de personnes déclarant exercer un deuxième travail a doublé en une vingtaine d’années, passant de 2 à 4% de l’emploi total ;
  • cette proportion a surtout augmenté au cours des années 90 ;
  • en 2009, 175.000 personnes ont déclaré exercer un deuxième travail ;

Les données rassemblées par l’Institut pour un Développement Durable permettent de constater que la proportion de travailleurs qui déclarent exercer un 2ème travail

  1. est plus élevée pour les professions intellectuelles et scientifiques que pour les manœuvres (proportion deux fois plus élevée) ;
  2. est plus de deux fois plus élevée pour les travailleurs ayant fait des études supérieures que pour ceux qui n’ont pas été plus loin que le secondaire inférieur.

Tout ceci conduit à émettre l’hypothèse que la précarité n’est probablement pas le moteur principal pour prendre un deuxième travail.

* * *

Les femmes sont (plus) souvent pénalisées sur le marché du travail. Il en va de même avec les indicateurs de précarité retenus :

  1. elles ont plus souvent que les hommes un emploi temporaire, en particulier pour les femmes faiblement qualifiées et les jeunes femmes ;
  2. elles travaillent beaucoup à temps partiel et celles qui ont le moins d’heures de travail sont en moyenne celles qui gagnent le moins à l’heure ;
  3. elles ont moins souvent que les hommes l’occasion d’exercer un 2ème travail.

Ces diverses observations sont développées et étayées dans la note jointe. A télécharger ICI.

Philippe Defeyt

Le boom des GAS…

août 18th, 2010

On les appelle GAS (Groupe ou Groupement d’Achat Solidaire), GAC (Groupement d’Achats Communs) ou encore GASAP (Groupements d’Achats Solidaires de l’Agriculture Paysanne). Pour faire simple, nous les appellerons dorénavant GAA (Groupe d’Achat Alternatif). Combien sont-ils exactement en Wallonie et à Bruxelles ? Difficile à dire. Contrairement à leurs homologues flamands, les « Voedselteams », ils ne sont pas encore, pour l’instant, regroupés au sein d’une fédération unique. A Bruxelles, la plupart des GAA se retrouvent dans l’association « Le Rézo des GASAP » », en Wallonie certains se retrouvent dans le mouvement « Nature et Progrès ». Par ailleurs, l’association « Saveurs Paysannes » créée en 2007 par la FUGEA s’est donné pour objectif de jouer un rôle de facilitateur et de rassembler l’information sur les différentes initiatives existant en Wallonie dans le domaine des circuits courts d’approvisionnement alimentaire (dont les GAA sont une des variantes). On trouvera sur leur site une liste (non-exhaustive) de systèmes existant en Wallonie.
Si on ne connait pas leur nombre exact, en revanche, on sait ( *) que la grande majorité d’entre eux n’a guère plus de 6 ou 7 ans d’existence même si certains ont vu le jour depuis bien plus longtemps. Ainsi, il existe un GAA à Seraing depuis 1987. Mais, dans l’ensemble il s’agit bien d’un phénomène récent, en tous cas en Wallonie et à Bruxelles.
Que se passe-t-il au sein d’un GAA ? Un nombre oscillant entre 10 et 40 de ménages (mais plus souvent entre 10 et 20) décident d’acheter en commun auprès d’un ou plusieurs producteurs connus, un certain nombre de produits, le plus souvent alimentaires, dont ils assurent eux-mêmes la distribution. Ils se débrouillent pour trouver un local où stocker les produits, se répartissent les tâches telles que l’enregistrement des commandes, la collecte de l’argent pour payer le ou les producteurs, la permanence aux heures fixées dans le lieu où les ménages peuvent retirer leur commande, l’organisation des réunions, et, de façon générale, l’animation du groupe. Même si l’objet premier du GAA est l’accès à une forme d’alimentation et d’approvisionnement aux antipodes du modèle de la consommation de masse, autour de la nourriture et à partir d’elles, d’autres activités se déploient souvent, des liens humains se tissent, des échanges ont lieu, des discours se construisent. Car ce que l’on vient chercher dans un GAA, pour la plupart, ce n’est pas seulement une nourriture de qualité, c’est aussi de la convivialité, du lien social, du sens. Dans le fond, peut-être ces « suppléments d’âme » font-ils partie de ce qu’il faut entendre par « nourriture de qualité », d’une qualité véritablement totale qui déborderait le simple produit final pour englober l’ensemble du processus de production et de distribution ?
Comme tous les consommateurs aujourd’hui, les membres d’un GAA sont à la recherche d’une alimentation saine. Or, à l’évidence, il existe de nombreuses conceptions, définitions et critères de ce qu’est une nourriture saine, au point que le consommateur, dans bien des cas, ne sait plus à quel « sain » se vouer… A celui, techno-bureaucratique de l’AFSCA ? A celui des publicités pour les produits dits allégés ou « naturels » de l’industrie agro-alimentaire ? A celui que garantissent ces labels de plus en plus opaques et de plus en plus nombreux au point de se concurrencer l’un l’autre? Pour les mangeurs des GAA, une alimentation saine est une alimentation « naturelle ». Notons en passant qu’on assiste ici à un curieux retournement. La cuisine et les différents modes de traitement des aliments sont une transformation de nature en culture dans le but de domestiquer un produit sauvage et donc, potentiellement dangereux. Car, pendant des siècles, c’est la nature qui a été perçue comme dangereuse, et la culture, au contraire, était un facteur de rassurance. Mais aujourd’hui, la dangerosité semble avoir changé de camp. Dorénavant, pour les mangeurs des GAA mais, aussi bien, pour beaucoup de consommateurs traumatisés par les crises qui se sont succédées : ESB, peste aviaire, langue bleue et autres, le risque, dorénavant, vient de la culture (les procédés de l’industrie agro-alimentaire) et c’est la nature qui nous paraît bénigne.
Pour les GAA, un produit sain est un produit dont on connaît l’origine, l’histoire, le parcours, de la semence à l’assiette, un parcours où nulle intervention suspecte de la chimie ou du génie génétique n’est venue interférer avec le cours que la nature dicte à la croissance et au développement des végétaux et des animaux. D’où l’importance de la proximité entre producteur et consommateur et de l’adéquation du produit aux conditions propres du lieu, du terroir, du climat. Il s’agit donc ici aussi, comme dans l’alimentation de masse, de traçabilité, mais on voit que c’est une traçabilité très différente de celle, bureaucratique et impersonnelle, dont s’occupe un organisme comme l’AFSCA. Ce qui la garantit, ce ne sont pas des certificats ou des labels octroyés par des organismes ou des administrations anonymes mais la connaissance personnelle du producteur, de ses produits et de son activité.
C’est pourquoi les GAA sont à la recherche d’aliments à forte identité locale et même « sociale ». Le légume, la volaille, le fromage, etc., qui intéresse le mangeur des GAA est fortement personnalisé : on connaît son origine, son lieu de production, le nom, le prénom et même parfois le visage de celui ou celle qui l’a produit, les conditions et les méthodes de culture ou de transformation mises en œuvre, bref tout ce qui contribue à faire de ce produit quelque chose d’unique, de différent de tous les autres produits apparemment similaires. Une carotte est un carotte est une carotte ? Faux : celle-ci est une « demi-longue de Luc », cultivée par M. et sa femme E. dans leur ferme de L. sans engrais et sans pesticides. On se démarque ici au maximum de ces produits sans feu ni lieu, anonymes, sans racines, standardisés et sans personnalité de l’industrie agro-alimentaire, ces « Objets Comestibles Non Identifiés » (selon l’heureuse formule de Claude Fischler) qui peuplent les linéaires des hyper et des supermarchés. Cette insistance sur l’identité territoriale et culturelle du produit alimentaire et sur le lien humain entre producteur et consommateur inscrit les GAA dans un mouvement plus général que l’on pourrait qualifier de « dé-marchandisation » de la consommation alimentaire.
L’extension de la consommation alimentaire de masse à partir des années 1960 a coïncidé avec une augmentation considérable de l’autonomie individuelle en matière de pratiques alimentaires (choix des aliments, horaires de prise de nourriture, rituels des repas) au point que Fischler a pu parler à ce propos de « gastro-anomie ». On a alors assisté, dans la plupart des pays occidentaux (mais avec une intensité variable) à une disparition progressive des principaux repères normatifs qui encadraient jusqu’alors la prise de nourriture que ce soit en termes de rythme et de périodicité des repas, de composition des menus, de modes de cuisson, etc … Le développement récent des GAA ainsi que d’autres pratiques alternatives comme le « slow food » marque-t-il comme le retour à une certaine re-normalisation des pratiques alimentaires ? Dans les GAA, le consommateur renonce à une part de liberté de choix, par exemple en acceptant de se voir livrer des paniers de fruits et légumes dont la composition échappe à son contrôle, en renonçant à consommer certains produits exotiques, en s’obligeant à suivre le rythme naturel de maturation des fruits et des légumes suivant le cycle des saisons. En échange, il retrouve une sorte de « gastro-nomie », une norme alimentaire qui allie souci de soi (caractère sain des aliments, saveurs retrouvées, accroissement de savoir, de compétence et de maîtrise dans la connaissance des produits, de leur vertus, des modes de préparation) et souci de l’autre : le producteur local, l’environnement. Car, même si l’écologie n’est pas nécessairement la première préoccupation de tous les participants d’un GAA, il s’agit néanmoins d’un souci largement partagé et il est clair que la démarche est porteuse de sens sur le plan environnemental. On a émis, peut-être non sans raison, des doutes quant au bilan des GAA en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Il est à craindre que dans le domaine du transport des aliments, leur bilan soit, en effet, plus défavorable que celui de la grande distribution dont le ratio CO2/kcal est probablement inférieur à celui des GAA du fait des économies d’échelle résultant des grandes quantités transportées par km parcouru. Mais là n’est sans doute pas l’essentiel. Indépendamment même de toute visée environnementaliste, la relocalisation du cycle production-consommation alimentaire qui est au cÅ“ur de la philosophie des GAA permet le maintien (ou le retour à ) des écosystèmes domestiques diversifiés, plus riches en biodiversité, plus résilients et moins toxiques que les écosystèmes domestiques hyperspécialisés (tels que la « corn belt » aux USA ou la Pampa argentine mais aussi, à échelle nettement plus réduite, la Beauce, voire la Hesbaye…) d’où provient la majorité de l’alimentation agro-industrielle.
A quels problèmes les GAA apportent-ils une réponse ? La démarche des GAA propose une solution à différents problèmes auxquels sont confrontées trois catégories d’agents : les agriculteurs (et plus particulièrement, l’agriculture familiale), les consommateurs et la collectivité. Aux agriculteurs elle donne la possibilité de se dégager de l’emprise de la grande distribution qui met nos agriculteurs en concurrence avec les agricultures de Russie, d’Europe de l’Est voire de plus loin encore. Elle leur permet également de sortir d’un schéma productiviste axé sur la monoculture, la mécanisation et l’usage intensif d’intrants coûteux, dangereux pour la santé (la leur d’abord et celle des consommateurs ensuite) et l’environnement et qui les condamne à l’endettement, à la dépendance vis-à -vis des grands groupes agro-industriels et les expose aux effets de la spéculation mondiale sur les cours des matières agricoles. On a vu ce qu’elle apportait aux consommateurs : une alimentation saine, naturelle, de qualité et riche de sens. A la collectivité, elle apporte la possibilité d’une recréation de solidarités locales et de restauration d’un environnement moins pollué, plus riche en biodiversité et en diversité paysagère. Reste à voir si ces réponses sont les plus adéquates et les plus durables. Les GAA ont-ils un avenir et si oui, lequel? A priori, il semble bien que cette démarche soit destinée à rester très marginale, concurrencée sur sa droite par la grande distribution et sur sa gauche, par d’autres formes de circuit-courts telles que les marchés fermiers, la vente directe, ou, pourquoi pas, le retour du commerce de proximité. Selon une étude récente (juin 2010) du CRIOC, seuls 11% des consommateurs wallons et bruxellois connaissent le principe du GAA et, dans l’échantillon interrogé, ils ne sont que 1% à y recourir. Quant aux utilisateurs potentiels, ils ne représentaient également qu’1% de l’échantillon. Les résultats seraient probablement assez différents en région flamande où les « Voedselteams» sont nettement plus répandus qu’en région wallonne mais sans changer fondamentalement le constat : il s’agit pour l’instant d’une démarche extrêmement minoritaire. L’avenir des GAA dépend de bien des choses : de l’évolution de l’agriculture, d’abord, à laquelle ils sont étroitement associés et sur laquelle ils pourront exercer une influence correspondant à leur poids dans la consommation alimentaire ; et puis, de façon générale, des politiques publiques en matière de transport, de surfaces commerciales, de fiscalité (TVA), de normes sanitaires, etc. Il dépendra bien sûr aussi de l’évolution dans nos façons de penser le bien-être, le développement, la solidarité. Le couple productivisme-consumérisme continuera-t-il à dominer notre imaginaire social et les politiques qui en sont la concrétisation ou de nouveaux modèles culturels dont les GAA constituent la préfiguration finiront-ils par s’imposer ? Mais, finalement, c’est sans doute d’abord et avant tout des membres des GAA eux-mêmes que dépend l’avenir de leur démarche : ont-ils aujourd’hui, auront-ils demain, le désir, la volonté et la capacité d’évoluer, de s’adapter, d’apprendre et de communiquer afin de la rendre de plus en plus attractive pour les producteurs comme pour les consommateurs et de lever les obstacles qui s’opposent à son extension sans sacrifier les principes fondamentaux qui l’animent ?

Paul-Marie Boulanger

(*) Les informations présentées ici proviennent d’une enquête menée par l’Institut pour un Développement Durable auprès des GAA de Wallonie et de Bruxelles, enquête réalisée dans le cadre du projet de recherche « Consentsus » financé par le Service Public Fédéral « Recherche Scientifique » et réalisé en partenariat avec le Centre d’Etudes du Développement Durable de l’ULB et le Centrum Voor Duurzame Ontwikkeling de l’Université de Gand. Pour le rapport complet voir : A.-L Lefin et P.-M Boulanger (2010) : « Enquête sur les systèmes alimentaires locaux. Présentation des résultats ». IDD, Ottignies. Téléchargeable ici.

Le Développement Durable : entre mythe et utopie

août 17th, 2010

Depuis son entrée officielle dans le monde, en 1987 avec la publication du fameux rapport Brundtland, le développement durable a connu un succès probablement sans précédent dans l’histoire des idées. En l’espace d’une génération, il a pris possession de l’espace public mondial, des moyens de communication de masse, des centres de recherche scientifique, des étagères des libraires. Le site « amazon.fr », par exemple, ne recense pas moins de 2673 livres en français dont le titre comprend le vocable « développement durable ». Une recherche identique avec « sustainable development » sur le site « amazon.com » permet d’identifier 39264 ouvrages. Aucune entreprise soucieuse de son image ne peut ignorer le développement durable, et d’autant moins que son activité s’en éloigne davantage. Les rapports annuels de ces entreprises les plus branchées affichent fièrement leur « triple bottom line », leur triple bilan économique, social environnemental. Les Etats-nations à la pointe en la matière l’ont inscrit dans leur charte fondamentale et une municipalité un tant soit peu branchée se doit d’avoir un Agenda 21.
Toute cette agitation, un peu désordonnée et pas toujours très honnête intellectuellement, ne va pas sans susciter des interrogations quant à la signification réelle et à l’utilité pratique de ce concept. Après des années d’unanimisme peut-être suspect, le doute s’installe petit à petit….

Paul-Marie Boulanger

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La baisse de la TVA dans l’HORECA – Analyse économique des promesses du secteur

juin 21st, 2010

Le début d’année n’a pas été très favorable pour le secteur de l’HORECA : baisse probable de l’emploi et augmentation du chômage. Dans ce contexte, la dernière étude de l’Institut pour un Développement Durable revient sur les promesses du secteur – principalement en matière d’emplois – faites à l’occasion du passage de la TVA à 12% pour la restauration.

Cette note propose une présentation du secteur (avec des estimations pour l’année 2009) et des éléments d’analyse économique quant au coût pour l’Etat de la baisse du taux de TVA.

En voici la principale conclusion : la mesure serait neutre pour le budget de l’Etat à condition de créer les 6.000 emplois promis et de blanchir environ 8,5% de l’activité HORECA attribuable aux ménages, tout cela de manière additionnelle par rapport aux probables retombées positives de la reprise économique.

Vous trouverez plus d’informations et éléments d’analyse dans la note jointe.

Financement de la sécurité sociale: quelques observations et réflexions

juin 15th, 2010

Au-delà d’un certain niveau de réduction du coût salarial n’y a-t-il pas « concurrence » entre deux objectifs également prisés par les partis politiques : la création d’emplois (durables) et le financement de la sécurité sociale ?

Cette interrogation trouve son origine dans trois faits récents :

1° Une récente étude flamande qui rappelle le coût élevé des créations
d’emplois via les titres-services.

2° La décision d’une commune wallonne de remplacer 8 agents PTP (Programmes de Transition Professionnelle) par 16 agents Win-Win. Il y a certes ici création nette d’emplois, mais au détriment des finances de la sécurité sociale puisque les Win-Win bénéficient d’une double aide : activation salariale et cotisations sociales réduites de 1.000 €/mois.

3° Un récent article de presse faisant état de ce que 5 gardiens de la paix perdaient leur emploi. « P. W., 43 ans, a appris qu’elle ne faisait plus partie du service des Gardiens de la Paix de Huy. Motif :
elle travaille depuis plus de 5 ans et ne peut plus bénéficier des subsides octroyés par l’État. 4 autres de ses collègues vont être dans la même situation. Ils sont en colère et soli­daires. Ils pensaient avoir un boulot stable et utile, leur rêve vient de s’écrouler. Sur les 16 travailleurs que compte le service des Gardiens de la Paix, 13 dépendent de subsides “Activa” octroyés par l’Etat fédéral. Après 5 ans d’ancienneté, le travailleur n’a plus droit à ces sub­sides. Raison pour laquelle P. W. a reçu un coup de fil du service du personnel de la ville de Huy, lui annonçant qu’elle perdait son job. »

Dans ce contexte, la dernière étude de l’Institut pour un Développement Durable se concentre sur l’évolution macroéconomique des cotisations sociales patronales en lien avec les créations d’emplois et élargit l’analyse au développement des systèmes de protection sociale privée.

Deux conclusions essentielles ressortent de cette étude :

1. Depuis 2002, les recettes nettes de sécurité sociale (cotisations patronales) par travailleur et par an ont baissé d’environ 360 €. Cette baisse n’a pas été compensée par une augmentation suffisante de l’emploi salarié pour assurer un financement en phase avec l’évolution des dépenses de sécurité sociale. On peut a minima émettre l’hypothèse que les créations d’emplois ne permettent plus
de garantir un financement suffisant de la sécurité sociale.

2. Par ailleurs, le handicap compétitif supposé du coût salarial n’a pas empêché les employeurs de développer, en termes absolus et en termes relatifs, des systèmes de protection sociale privée, dont on sait qu’ils sont moins équitables, parce que répartis de manière inégale entre secteurs et entre catégories de travailleurs. A la lecture des évolutions des composantes du coût salarial, on ne peut s’empêcher de penser que, pour partie au moins, le développement de systèmes de protection sociale privée a été financé par des aides publiques qui ont pour première préoccupation de soutenir l’emploi.

Dans un contexte de nécessaire rigueur budgétaire, une remise à plat des aides à l’emploi (réductions structurelles des cotisations sociales patronales et subsides à l’emploi financés par la sécurité sociale ou la fiscalité) s’impose à l’évidence. A la lumière de ces résultats, il faudra peut-être s’interroger aussi sur les calculs en matière de norme de croissance des salaires.

Philippe Defeyt

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Une méthode d’analyse de causes et essai d’application à la déforestation tropicale

mai 2nd, 2010

Par Jean-Paul Ledant

Une approche d’analyse des causes de processus indésirables et complexes est proposée et appliquée à la déforestation tropicale. La méthode combine l’analyse systémique et la technique de l’arbre à problèmes. La première étape consiste en une analyse large des liens de causalité, y compris les rétroactions, sans jugement de valeur. La seconde étape consiste à sélectionner explicitement les causes problématiques et à rendre les relations linéaires, de manière à aboutir à un arbre à problèmes, base pour dégager des objectifs et stratégies de réponse. La déforestation tropicale est ainsi analysée, 37 causes sont identifiées, réduites à 32 problèmes, donnant lieu à 14 objectifs potentiels, la plupart externes au secteur forestier. Cette approche aide à distinguer explicitement les causes à combattre des autres.

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Eclairer le débat sur les pensions : une urgence!

avril 28th, 2010

Le débat sur les pensions est incontestablement le débat socioéconomique phare de l’année 2010. Comme d’autres débats, il faut l’alimenter de données pertinentes. Or, à cet égard, on doit bien constater que toutes les données ne sont pas exploitées ou connues et que certaines évolutions sont plus rapides qu’on ne l’estime en général.
Sans prétendre faire le tour des informations disponibles, cette note a pour ambition de présenter et commenter quelques données et évolutions moins connues pour préparer au mieux les décisions qu’il faudra bien prendre. Voici les principales informations et conclusions contenues dans cette note.
1. La pension moyenne, si on tient compte des avantages extra-légaux et des cumuls non enregistrés par ailleurs, est aujourd’hui d’environ 1.200 €/mois (plus donc que le montant de 1.000 €/mois que beaucoup ont en tête). Le pouvoir d’achat de la pension moyenne a augmenté tendanciellement d’un pourcent par an depuis 1990.
2. Le montant moyen ne dit pas tout bien sûr. Il y a de grandes inégalités en matière de pensions (entre hommes et femmes, entre pensionnés du secteur public et les autres…). Environ 20% des pensionnés sont sous le seuil de pauvreté (plus de femmes que d’hommes, proportionnellement plus de pensionnés isolés que des ménages). La problématique des inégalités devrait prendre le pas sur le question de la pension moyenne.
3. Le temps de travail est mal distribué sur le cycle de vie. Un individu représentatif du comportement moyen consacre au travail – entre 18 et 75 ans – 11,0% de son temps total et 17,4% de son temps hors sommeil. Mais près de 85% du travail total est assuré par les 25-55 ans. Les 25-39 ans et les 40-55 ans consacrent donc proportionnellement beaucoup plus de leur temps au travail que les plus jeunes et les plus âgés.
4. Des tendances favorables apparaissent clairement sur le marché du travail des 55-65 ans : l’âge moyen de retrait de la vie active se situe désormais au niveau de la moyenne européenne (plus de 61 ans), le taux d’emploi des séniors est proche de 35%, venant de 22% en 1997… Ces évolutions n’ont pas grand chose à voir avec le pacte des générations : elles résultent pour l’essentiel de dynamiques sociodémographiques à l’oeuvre depuis longtemps.
5. Dans les années à venir, le vieillissement démographique ne sera pas d’un grand secours pour réduire le chômage. L’augmentation tendancielle de l’offre de travail – exprimée en heures de travail – des 55-64 ans suffira à faire correspondre la croissance de l’offre de travail (exprimée en heures) avec celle de la demande jusqu’en 2020 environ, sans pour autant faire travailler tous les travailleurs âgés jusqu’à 65 ans et en tenant compte de la plus grande proportion de travailleurs à temps partiel. Ces évolutions annoncent donc le maintien d’un chômage massif pour de nombreuses années encore.
6. Les évolutions et perspectives sur le marché du travail laissent supposer que la question des périodes assimilées (principalement en matière de chômage) et des périodes non ou insuffisamment assimilées (principalement en matière de prestations réduites) restera centrale dans la dynamique des pensions (en particulier en ce qui concerne les évolutions de la pension moyenne et des écarts entre les pensions des hommes et des femmes).
7. D’autres questions sont peu abordées. On pense en particulier à la question du mode de calcul de la pension et/ou des mécanismes fiscaux « correctifs » (éventuels) en fonction de la composition des ménages et des revenus.
8. Pour éclairer les décisions en prendre en matière de pensions, il importe
– de clarifier les champs d’analyse (parle-t-on des pensionnés en général ou des plus de 65 ans, des seules pensions publiques ou de l’ensemble des revenus des pensionnés, des personnes ou des ménages, etc. ?) ;
– mobiliser et exploiter plus et mieux les informations existantes ;
– suivre plus attentivement les dynamiques rapides qui se déploient sur le marché du travail des plus des 55 ans et essayer de les imaginer pour les années à venir (vont-elles se stabiliser, s’accélérer ou ralentir ? faut-il les encourager ou les décourager ?) ; par exemple : on constate une augmentation rapide de la proportion des 55-64 ans qui travaillent à temps partiel (les séniors sont aujourd’hui plus de 30% à travailler à temps partiel contre 23% dans l’ensemble de la population au travail) ; cette tendance va-t-elle se maintenir ? doit-elle être encouragée et, si oui, comment ?

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Pourquoi le chômage n’augmente-t-il pas plus ?

avril 8th, 2010

Au vu de l’ampleur de la crise (PIB en recul de 3,1% en 2009), beaucoup craignaient le pire en matière de chômage. Les données officielles communiquées mensuellement par l’ONEM semblent pourtant ne pas justifier ces craintes (environ 30.000 chômeurs en plus à un an d’écart).

Mais le chômage évolue plus que ce qu’indiquent les données « officielles » de l’ONEM. L’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi inoccupés (= définition du Bureau fédéral du Plan) est d’environ 20.000 unités supérieure à celle donnée par l’ONEM. Il semble aussi que l’évolution du chômage serait quelque peu gonflée encore si on devait ajouter les demandeurs d’emploi issus des CPAS et non répertoriés en tant que tels.

Malgré tout, même dans sa définition large, le chômage évolue moins que ce qu’on pouvait craindre. Deux explications à cela :

1. Un emploi qui résiste mieux que prévu.

2. Une évolution très faible de la population active (c’est-à -dire ceux qui se présentent sur le marché du travail).

Si l’emploi résiste mieux que prévu c’est grâce à :
– l’importance du recours au chômage partiel ;
Рla progression des emplois li̩s aux titres-services, surtout en 2009 ;
– l’évolution rapide (en termes absolus et en termes relatifs) des emplois à temps partiel,expliquée principalement par la progression des titres-services et des personnes recourant au crédit-temps (réduction des prestations).

Ce serait surtout l’augmentation de la population estudiantine dans l’enseignement supérieur qui expliquerait (en bonne partie) la faible croissance de la population active entre 2008 et 2010. Celle-ci est aussi contenue par la progression marquée des « congés thématiques »,c’est-à -dire des travailleurs qui quittent totalement ou partiellement le marché du travail pour des raisons familiales.

Il n’en demeure pas moins que la Belgique enregistrera en 2010 un chômage global de l’ordre de 700.000 unités, sans tenir compte du chômage partiel et des demandeurs d’emplois issus des CPAS mais non répertoriés comme tels. Et le chômage devrait encore augmenter en 2011.

Ces évolutions sont détaillées dans la première note jointe en annexe.

La seconde note se penche brièvement sur les demandeurs d’emploi issus des CPAS wallons. La principale conclusion de cette note : Une prise en compte incomplète des demandeurs d’emploi issus des CPAS conduit à sous-estimer l’ampleur du chômage en Wallonie.

Philippe Defeyt

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En ce début 2010, quelques surprises macroéconomiques…

janvier 6th, 2010

Regarder dans le rétroviseur à l’aube d’une nouvelle décennie n’a rien de très original. Le faire sur une plus longue période l’est un peu plus.

C’est ce qu’a fait l’Institut pour un Développement Durable pour sa première contribution au débat public de l’année 2010.

Six variables macroéconomiques centrales ont été choisies et leur évolution traquée depuis 1970 : le revenu national par tête, l’emploi, les heures de travail (masse globale), le temps de travail moyen, le PIB et le chômage.

Il découle de cette analyse quelques surprises…

Si le revenu national par tête a plus que doublé depuis 1970, il est orienté à la baisse depuis 2007. La baisse cumulée depuis 2007 – 5% – est très largement supérieure aux autres reculs observés depuis 1970.

Cet indicateur devrait croître à nouveau en 2011. Mais il faudra deux à trois ans ans de bonne conjoncture simplement pour revenir au niveau de 2007 !

Ainsi illustrée, la crise paraît plus profonde et plus longue que quand on se sert du seul indicateur d’activité (le PIB).

Si le nombre d’emplois a augmenté de 17% environ depuis 1970, le nombre total d’heures de travail effectuées par cette force de travail est toujours inférieur à ce qui était observé en 1970 (5% en moins en 2010 par rapport à 1970).

Il découle logiquement de l’observation précédente que le temps de travail moyen, exprimé en heures de travail par an, a fortement diminué depuis 1970. Cependant, la quasi totalité de cette baisse a été acquise avant 1990 ; depuis lors, autre surprise, le temps de travail moyen n’a quasiment plus bougé malgré l’augmentation du travail a temps partiel !

Comme sur la même période on observe un plus que doublement de la production intérieure (telle que mesurée par le PIB), il est évident que le contenu en heures de travail de l’activité économique a fortement chuté (-60% environ entre 1970 et 2010). C’est donc – sur le long terme – la réduction tendancielle du temps de travail qui a permis de créer des emplois, non la croissance.

Les évolutions positives en matière d’emploi n’ont pas suffi pour contenir ce qui apparaît être une irrésistible montée du chômage. En effet, on observe sur la période 1970 – 2010 une augmentation de la population active d’environ 1.300.000 personnes alors que l’emploi disponible n’augmente que d’environ 650.000 unités, soit la moitié seulement de ce qu’il aurait fallu pour « occuper » tout le monde.

Le chômage est donc devenu structurel et tendanciellement croissant dès la fin des années 70.

Le nombre de chômeurs (définition Bureau fédéral du Plan) devrait en 2010 atteindre – avec plus de 750.000 unités – son maximum historique sur la période considérée. Le taux de chômage – 14,6% en 2010 – serait lui aussi à son maximum historique.

Surprise ? Pas vraiment, mais tout le monde a-t-il bien conscience de ce triste record ?

* * *

Il ne rentre pas dans l’ambition de cette analyse de « faire des projections ». Trois commentaires néanmoins :

1) il semble que – par comparaison historique – on minimise l’ampleur de la « crise » ; il faudra, par exemple, au moins deux ans de bonne conjoncture à partir de 2010 pour que le revenu national par tête retrouve son niveau de 2007 ;

2)la stabilisation du contenu de la croissance en heures de travail observée au cours des dernières années – ce qui est positif pour l’emploi – pourrait ne pas durer ;

3)rien n’indique qu’une solution pourra être trouvée dans un délai socialement acceptable au chômage de masse qui est celui observé aujourd’hui.

Lire l’étude complète au format word ou au format pdf